Avant

Navigation : Le retour de la Pensée Mer du Nord

Récit de Frédéric David

 

Traversée Féroé-Norvège

 

Pendant le mois d'aout, René a convoyé La Pensée de Reykjavik aux île Féroé avec Prisca et la petite Margot.

Ils durent subir une météo très difficile dès le départ avec un force 7 dans le nez, puis ils firent route vers les Shetland et enfin ils atteignirent la Norvège quelques jours plus tard.

Il ne m'appartient pas de relater ce périple mais il est facile d'imaginer la somme de stress que l'on doit subir avec un enfant de trois ans à bord. Les trois premiers jours ont du être les journées les plus longues pour Prisca et René...

 

 

 

 

Toujours est-il que c'est à Stavanger que nous retrouvâmes le voilier, Serge, René et moi-même le 29 septembre dans l'après-midi. Peu de commentaires à faire sur cette journée sinon que nous allâmes chercher La Pensée dans un port de plaisance situé au nord de la ville pour le ramener sans encombre dans le bassin central situé en plein centre ville.

Nous étions seul sur le ponton mais deux grands cargos anciens nous tenaient compagnie dans le bassin. C'est avec un vrai sentiment de satisfaction que nous retrouvions notre cher voilier et l'ambiance de cette première journée, tout comme le temps, était au beau fixe.

 

Frédéric à Stavanger

 

Stavanger - Dieppe

30 septembre

Nous passons la journée à faire le ravitaillement et à préparer le bateau. La visite de la ville est bien rapide car il n'y a pas grand chose à voir. Nous nous laissons tenter dans une poissonnerie par des pattes de crabe royal mais il se révèle que les dites pattes ont été surgelées ce qui leur fait perdre l'essentiel de leurs qualités gustatives.

 

Stavanger

Serge

 

 

Nous attendons notre troisième larron Gérard qui s'est laissé tenter par l'aventure, et la perspective de voir ainsi nos heures de quart réduites ne sont pas pour nous déplaire, indépendamment pour moi du plaisir de revoir Gégé.

Cependant, le beau temps relatif, tend à s'éloigner et si nous voulons rejoindre Kristiansand, au sud de la Norvège, il va falloir partir vite.

 

 

1er octobre 

Gérard arrive de l'aéroport à 1 h du matin et il est aussitôt happé par un départ immédiat car nous craignons que la mer continue à se former. C'est donc, sans avoir le temps de faire connaissance avec l'équipage ni les habitudes du bateau que Gérard se retrouve dès sa descente d'avion à la sortie du fjord de Stavanger.

La nuit est calme et chacun prend son quart sans difficulté. Je goûte au plaisir de retrouver la nuit et cette envoutante impression de dominer la remuante immensité liquide. Au petit déjeuner, le soleil nous souhaite la bienvenue mais le traite cache bien son jeu. Très vite le vent forcit et la mer se forme. Bien entendu, nous naviguons au moteur vent debout et la mer de plus en plus hachée rend notre situation pour le moins inconfortable.

Nous longeons la côte à la vitesse d'un escargot de course : deux nœuds seulement au lieu des 5 ou 6 auxquels nous sommes habitués. Sont-ce les courants contraires ? C'est étrange et comme la mer devient de plus en plus forte, nous devenons tous nauséeux. Nous sautons le repas sans même l'évoquer.

 

Frédéric David

La Pensée persiste à marcher à 2 nœuds, nous ne comprenons pas, il n'y a pas la renverse de courant tant attendue. Nos espoirs d'atteindre Kristiansand s'amenuisent. René finit par prendre la décision de s'équiper pour plonger et ainsi examiner l'hélice ou il ne voit rien d'anormal. Nous aidons René comme nous le pouvons sur la poupe du voilier et les vagues nous bousculent quelque peu. Gérard se penche pour attacher un boute et tout à coup, je vois ses yeux, littéralement sortir de leur orbite. Il a juste le temps d'aller vomir et de rentrer dans la cabine pour s'allonger et essayer d'oublier sa triste situation.

Rien à faire, malgré la visite sous marine de René le moteur ne marche qu'au ralenti. Il fait de plus en plus froid et le temps prend une allure très automnale. Serge prend du chocolat et généreusement  m'en propose vantant ses mérites énergétiques. Quinze minutes plus tard, je le vois vomir consciencieusement tout son chocolat et me déclare navré que le chocolat doit être vomitif. Je m'interroge sur son cadeau empoisonné. Vu le peu de chemin parcouru, nous n'avons de cesse de changer de plan, le Danemark est hors de portée, Christianson devient une chimère et devant le peu de chemin parcouru, nous nous rabattons sur Farsund, un port bien abrité dans un fjord.

Mais il reste 30 miles soit 15 heures au moteur, la nuit risque de nous sembler bien longue, d'autant que Gérard, malade, fatigué par son voyage et mal amariné ne peut prendre son quart. J'ai une pensée de compassion pour lui tout en me disant égoïstement que les quarts inconfortables vont nous sembler bien longs.

Tout à coup, le moteur émet un vilain bruit et crache une fumée de mauvaises augures. René hurle que le compartiment moteur se remplit d'eau. Immédiatement, nous arrêtons le moteur et René sort la grosse pompe de cale pour vider l'eau qui nous envahit. Pendant ce temps Serge et moi actionnons la petite pompe à mains de l'avant. Battus par les vagues, dans la nuit noire et froide, nous ne nous sentons pas trop fiers.

L'eau une fois vidée, René parvient à remettre le moteur en marche sans que l'eau ne rentre. C'est bien ce que nous craignions depuis l'après midi, des fils  de pêche devaient s'être enroulés autour de l'hélice qu'ils bridaient en poussant le presse étoupe. Tout cela expliquait le mauvais rendement du moteur et la voie d'eau. Heureusement, il marchait encore, contrairement à ce qu'il nous était arrivé à Guernesey. C'est donc avec la peur au ventre que nous avons traversé une partie de la nuit

2 Octobre

C'est donc au ralenti que nous avons embouqué l'entrée du fjord parmi des amas de rochers qui rendent l'entrée du port difficile. Déjà, les effets des vagues se faisaient moins sentir et comme un bonheur n'arrive jamais seul, tout à coup, l'hélice se délivra des fils qui l'étreignaient. Immédiatement, le loch nous indiqua 6 nœuds, preuve que l'entrave avait cédé, nous n'aurions donc pas à sortir le bateau de l'eau et notre expédition allait donc pouvoir se poursuivre.

Enfin, à 3h du matin, nous touchons au but. Gérard ressuscite et saute sur le ponton pour nous amarrer. Notre capitaine atrabilaire semble satisfait de la manœuvre, il ne fait pas de commentaire ce qui chez lui est un signe de satisfaction. Je confectionne le traditionnel plat de pâtes et nous poussons un ouf de soulagement. Nous sommes tous épuisés, il est déjà 5h.

Après un réveil à 9h30 nous constatons qu'il n'y a pas de sanitaires dans le port. Nous partons en ville à pied pour trouver un point de chute plus glamour. Après un repas de poisson à bord, René plonge à nouveau pour examiner l'hélice. Les fils ont bien disparu, ils se sont détachés grâce à une marche arrière. Nous pourrons donc continuer notre voyage ! Nous constatons que rien n'est facile, tout peut arriver en mer et un rien peut nous mettre en grave difficulté.

 

Farsund

Nous faisons le plein d'essence, en passant sous un pont, c'est souvent avec un peu d'inquiétude que nous guettons le mât de La Pensée quand il passe sous la voûte des ponts. Nous changeons le voilier de place, en centre ville, avec des sanitaires dans un petit supermarché. Tout nous semble parfait, d'autant plus que Gérard constate que notre voisin le plus proche est un négociant d'alcool divers. Las, il va déchanter très vite quand après une petite visite de voisinage, il constate que les prix sont au-delà du prohibitif. L'alcool comme tout le reste est bien cher dans ces pays là ! 

Nous partons boire une bière en ville quand une jeune fille blonde et plutôt jolie, qui pourrait même être très jolie si elle ne portait pas une coiffure recherchée mais bizarre à l'excès qui ne la mettait vraiment pas en valeur, s'invite à notre table d'autorité. Elle semble un peu shootée et veut absolument parler avec nous. Elle se lève tout à coup pour aller aux toilettes car dit-elle: « Le bateau va sombrer dans l'eau ». Cette belle métaphore nous laisse quelque peu dubitatifs, que cherche-t-elle ?

Après son petit pipi, comme elle dit, elle nous demande de garder sa bière car elle a froid et veut se changer. Elle revient peu après en manteau de fourrure ce qui l'avantage nettement par rapport à sa tenue de Harley Davidson. Après nous avoir fait part de sa passion pour Édith Piaf, elle se lance alors dans un conversation de plus en plus surréaliste. Elle commence un long et pénible plaidoyer sur l'importance de la circoncision. Elle joint le geste à la parole de couper avec ses doigts en guise de ciseaux le bout de notre intimité. A chaque coup de ciseaux, je ne peux m'empêcher de me raidir en imaginant tout le bonheur qu'elle pourrait nous promettre. Elle insiste lourdement, prétendant que c'est plus sain, plus ceci, plus cela et elle nous conseille véhémentement de nous faire couper notre sacré prépuce. Amusés par son comportement inhabituel, nous la quittons en lui assurant que nous seront là le lendemain soir. Elle nous dit au revoir en nous pressant la main. Visiblement, nous avons meublé un grand moment de solitude...

3 Octobre

Il pleut, il vente, nous devons attendre l'accalmie pour repartir. A l'office de tourisme où René est parti pour louer une voiture nous rencontrons June. Cette solide fille parle le français, car elle a vécu à Poitiers. Sympathique et heureuse de converser en français, elle nous aide dans nos démarches de location et nous conseille sur ce que l'on doit voir.

Nous partons pour Kristiansand par une route bordée de lacs. Tout est humide, l'eau suinte de partout De plus, Kristiansand nous déçoit, il n'y a rien à voir d'autre qu'une rue commerçante sans charme. Après avoir erré quelque temps, nous repartons. Serge ne peut marcher, handicapé par son genou qui le fait souffrir. Le coup de vent bat son plein et on se console en se disant qu'il vaut mieux être là qu'en mer.

Au bateau Gégé nous fait des petites pommes de terre sautées et je cuis des saucisses coupées en deux. Gérard et moi restons sur le bateau, nous n'avons même pas envie de boire une bière en ville!

4 Octobre

Il pleut Nous profitons de la voiture que nous devons rendre à 13h pour aller voir un phare conseillé par June. Il n'y a pas un chat mais oh, surprise June tient la boutique du phare. Elle a l'air ravi de parler avec nous qui serons sans doute les seules personnes qu'elle verra de la journée. Elle nous conseille de voir un fort mais il est fermé quand nous arrivons. En revanche, son idée de voir deux petits ports de poche était meilleure.

Ces ports sont adorables et la mer ne semble pas démontée mais elle est fortement protégée par la côte. Après être rentrés au bateau, nous passons la journée à faire les courses, se laver, lire.. Nous en avons assez de Farsund malgré la beauté du fjord. Nous marchons sous la pluie battante pour nous détendre mais tout nous semble vide. Même les commerçants ont l'air de déserter leur boutique faute d'attendre un hypothétique client.

5 Octobre

Les travailleurs de la mer

C'est le grand départ pour le Danemark. Au matin, nous admirons l'entrée du fjord qui a l'air pavé d'îles et de rochers. Nous mettons enfin les voiles et La Pensée file. C'est un vrai bonheur de retrouver la voile mais pourtant nous devons constater que le cap nous emmène trop au nord.

Nous devons nous résoudre dans l'après-midi de remettre le moteur une fois de plus. Ça bouge, Gégé et Serge préfèrent rester dehors alors que je poursuis ma lecture des Travailleurs de la mer de Hugo. René, comme d'habitude, calcule le cap et surveille les instruments.

Au soir, je confectionne un repas léger, personne n'a vraiment d'appétit. Serge prend le premier quart, c'est le luxe, nous ne faisons des quarts que de deux heures! A minuit, je prends la suite, la mer reste un peu formée et il y a de nombreux bateaux, il faut être très vigilant. Pas question de s'endormir. Je regarde le ciel, il est magnifique, une multitude d'étoiles irradient. Il ne fait pas trop froid. Ce sont pour moi, ces moments privilégiés sur le bateau. Être seul dans ce monde qui n'est pas vraiment le nôtre et être cependant pleinement heureux d'exister et de connaître de semblables sensations...

René prend ma place et je ne parviens pas à me réchauffer dans mon duvet alors que je n'avais pas froid dehors. Est-ce l'humidité ? Mes pieds restent glacés jusqu'au matin.

6 Octobre

Grand ciel bleu, un soleil généreux inonde le cockpit. Nous prenons un copieux petit déjeuner, preuve que Serge et Gégé commencent à s'habituer. La mer est calme mais il y a du vent. Nous mettons les voiles et filons à 7 nœuds, nous avons passé la pointe du Danemark et prenons maintenant la direction de la Suède en descendant résolument vers le sud. La journée est superbe, très ensoleillée mais le froid est là malgré le soleil. Nous nous sentons les rois du monde. Je finis 'Les travailleurs de la mer », j'aime les livres de circonstances. Le combat de Gilliat contre les éléments c'est un peu notre petit combat à nous. Le soleil tombe vite dans la mer vers 19h et nous nous retrouvons dans l'obscurité. Le vent a tourné et nous avons repris le moteur. Nous descendons le long de la Suède et devons atteindre Copenhague vers 2 ou 3h du matin. Nous décidons d'attendre d'y être pour manger plus confortablement.

7 Octobre

Nous atteignons Copenhague à 2h du matin après avoir embouqué la passe qui sépare la Suède du Danemark. Pas facile de trouver une place dans la marina, puis après avoir accosté, nous célébrons la sempiternelle cérémonie des pâtes. René toujours actif et débrouillard nous trouve une carte pour la douche et des toilettes.

Copenhague

 

Nous sommes loin du centre, nous faisons venir un taxi qui nous emmène voir l'incontournable petite sirène. Parcours obligé et bien inutile. Nous sacrifions au temple des touristes, photos, poses grotesques pendant que le taxi attend placidement.

Il nous dépose ensuite au centre ville à Nylhavn, un superbe canal avec de vieux gréements et des restaurants branchés le long du canal. Le temps est toujours sec et le soleil perce.

Nous apprécions notre balade dans les artères piétonnes de Copenhague.

Quel changement par rapport à la tristesse de Farsund. De nombreuses boutiques où le monde afflue, de belles bâtisses.

On monte dans une tour pour voir le point de vue sur la ville. C'est une vraie capitale avec de nombreuses églises et monuments.

Seul inconvénient, les musées sont fermés et nous raterons ainsi les nombreux Gauguin que je me promettais et les boutiques sont hors de prix. Je prends du pain pour 15 euros ! Tout est très cher.

Nous débouchons sur une belle placette où nous mangeons un poisson très honnête mais où la bière fait défaut, la pression étant en panne. La note reste néanmoins salée. Nous nous laissons allés dans cette ambiance bon enfant qui nous donne fortement envie de revenir un jour.

Dernière station, nous retournons à Nylhavn où René nous invite à prendre un bock. Il s'en tire pour 40 euros, décidément ces pays du septentrion ! Difficile de prendre sa retraite dans ce pays si sympa soit-il. Retour en taxi au bateau et repas à bord.

 

 

Danemark

8 Octobre

Départ pour traverser la mer du Danemark.

Il fait beau, la mer est un véritable lac, donc moteur oblige car nous avons le vent dans le nez, un vent qui d'ailleurs est quasiment absent.

Nous croisons une pointe puis c'est la peine mer. Pendant la nuit, il faut être vigilant, il y a de nombreux bateaux.

René ne se couche pratiquement pas, il veille. On double ainsi les quarts car la circulation est dense.

 

 

9 Octobre

Au matin on aperçoit Kiel, René n'a pratiquement pas dormi. On est tous un peu crevés. Vers 10h, on atteint enfin l'écluse du canal. Un moment, les écluses s'ouvrent et Gérard se précipite pour faire son sac. Il doit nous quitter pour cause d'anniversaire. Il en oublie sa trousse de toilette et sa serviette.

Après un bref adieu, nous l'abandonnons sur le ponton à son triste sort. Il doit trouver un moyen pour arriver à Hambourg le soir ou le lendemain. On lui fait confiance !

Le temps est maussade, ponctué par de petites averses. Les écluses se sont refermées, c'était une fausse alerte! Avec les autres voiliers en attente nous tournons devant les écluses comme des mouches. Arrive un cargo qui ouvre le précieux sésame. Enfin, les voiliers qui jusqu'ici paradaient pour se montrer sous leurs plus beaux jours s'engouffrent à la suite du cargo libérateur. Gégé n'est plus en vue, il a dû trouver un moyen de s'échapper.

Dans l'écluse, les voiliers se rangent sagement le long du quai et quand elle s'ouvre à nouveau, tous se précipitent à la queue leu leu vers le canal tant attendu. Ce dernier ressemble parfois à la Seine mais les berges semblent plus sauvages. Des troupeaux d'oies sauvages et de canards de toutes sortent divaguent le long des berges.

 

Dans l'écluse

Un magnifique voilier trois mâts fait irruption, il nous apparait de belle taille, à ce moment un méthanier gigantesque arrive de la même direction. Le voilier devient tout petit, au contact du monstre, il semble avoir rétréci. Quant à nous, que sommes nous face à ces bateaux ? On prend le repas sous le soleil, tranquilles, tout en regardant le paysage.

Vers 14h, nous atteignons enfin Rensburg, bien fatigués. Après avoir repéré la pompe à essence, nous apprenons que celle-ci est fermée jusqu'au soir. Nous partons alors faire un tour en ville, des maisons et des rues bien mignonnes. Nous testons une bière pour goûter l'Allemagne dans son cœur, puis je fais les courses. Les prix tombent par rapport à ce que nous avons connu au nord, la pluie aussi ! Je rentre chargé comme un baudet avec les courses alors que René et Serge ont fait le plein. Après une douche réconfortante, nous jetons nos dernières forces pour aller au restaurant mais impossible de trouver du jarret grillé. Nous ne sommes pas à Berlin. Nuit de plomb, nous étions vraiment crevés.

10 Octobre

Bonne surprise, il fait froid mais beau et le soleil illumine le canal. Départ à 9h. Nous passons sous un pont transbordeur comme dans l'ancien temps à Rouen. Il a l'air très actif et transporte même des automobiles.

La météo est clémente pour ce jour mais on nous annonce un force 10 pour demain. Nous décidons alors de pousser jusqu'à Helgoland dans la mer du nord pour nous mettre à l'abri et attendre la fin de la tempête quand nous serons sortis du canal et de l'embouchure de l'Elbe. Nous espérons arriver à l'île dans la nuit si tout va bien et si l'écluse de la sortie du canal daigne s'ouvrir !

 

Serge

Aux écluses, impossible de savoir quand nous pourrons sortir. Feux vert, rouge, blanc, nous sommes incapable de comprendre le code pour les voiliers. En fait, nous comprenons que les écluses ne servent que pour les grands bateaux et que nous ne sommes que quantité négligeable. Le jeu consiste à se glisser dans une écluse en profitant du passage d'un plus gros que nous. Un méthanier rentre, nous le suivons et nous rangeons à côté de lui. Nous sommes seuls et pas trop fiers car le bateau pourrait écraser sans vergogne notre brave Pensée. Le passage n'est pas évident mais ça marche.

Nous sommes délivrés et pouvons poursuivre vers l'île que je rêvais de voir depuis de nombreuses années.  L'embouchure de l'Elbe est énorme et la circulation de gros navires intense. Nous sommes heureux de foncer vers Helgoland pour nous mettre à l'abri de la tempête prochaine.

Nous filons avec le courant à 9 et parfois 10 nœuds Nous serons en avance sur l'heure prévue, d'autant que René sort un peu du chenal, pour gagner du temps, le tirant d'eau de La Pensée étant très faible.

C'était sans compter sur les vagues de plus en plus importantes. Tout à coup, sous l'effet d'une grosse vague de travers, le moteur se met à ruer, nous risquons l'ensablement. Je vois dans la cabine un grand sac noir voler au dessus de ma tête.

Heureusement, La Pensée repart sans trop de mal mais nous avons eu peur, les vagues très formées auraient eu raison très vite du voilier.

Dans la dernière heure, tout se gâte, il est vraiment temps de rentrer, la tempête annoncée arrive. Le vent forcit considérablement et c'est avec soulagement que nous rentrons dans le port d'Helgoland sous les risées violentes.

L'accostage s'avère difficile car le vent pousse le bateau et nous doublons les amarres, en nous disant que nous avons fait le bon choix. Ouf, il est 2 h du matin. Après un repas réconfortant, nous nous endormons en écoutant le sifflement du vent.

11 Octobre

Les falaises d'Helgoland

Au réveil, le temps est clair mais le vent a encore forcé. Deux ou trois voiliers sont rentrés dans la nuit pour s'abriter, on suppute que ça n 'a pas du être facile, certains visages ont l'air bien fatigués parmi nos compagnons de pontons.

Après une visite de la ville où on s'aperçoit que tout est duty free, nous voyons des nuées de photographes et d'observateurs d'oiseaux munis de grosses lunettes. Ils sont à l'affut des oiseaux migrateurs, mais il y en a tant qu'ils sont peut-être plus nombreux que les oiseaux recherchés ! Leurs tenues sont toutes semblables, couleur kaki, prêtes à se dissimulées dans la chlorophylle ambiante.

L'après-midi, avec René, nous faisons le tour de l'île, Serge va de son côté à cause de sa jambe douloureuse.

On découvre sous un soleil généreux mais un vent d'une rare violence, les fameuses falaises rouges qui font la légende d'Helgoland.

C'est Etretat mais en rouge ! C'est splendide avec ces nuées d'oiseaux survolant le mer bien agitée, poursuivis par les lunettes des amis des oiseaux.

Un groupe de fous de Bassan accrochés à la falaise a l'air très agité. Un juvénile est en train d'agoniser, il n'a plus de force. Un oiseau, peut-être sa mère, essaye de le pousser à se relever en lui donnant des petits coups de bec. Tout le groupe des fous de Bassan a l'air de s'intéresser à la scène.

Nous apprenons en route que l'île a été vidée à deux reprises de ses habitants, qu'elle a même été rasée quand, après la fin de la guerre on a fait sauter une quantité considérable de poudre devenue inutile. 

Helgoland a vécu une histoire agitée et la vision des paisibles ornithologues  me conforte dans l'idée que nous vivons à une époque plutôt favorable.

 

Le soir, nous prenons un repas de poisson dans un restaurant. Une petite polonaise nous sert, cela nous fait penser à l'Islande où souvent, les serveuses étaient de nationalités variées. Nous nous couchons dans le bruit du vent qui n'a pas cessé une seconde.

 

Réné à Hégolang

12 Octobre

Le vent toujours et toujours. Il me prend l'envie de faire un petit footing, l'île n'est pas bien grande. La seule difficulté consiste à monter sur la falaise. Le temps est clair mais le vent de face ralentit ma marche. Je passe près de l'endroit des fous de Bassan. Ils sont partis, le juvénile a du être jeté à la mer, le drame semble être consommé. Le mauvais temps semble s'être installé et je décide de partir par le ferry qui fonctionne encore pour rejoindre Hambourg par l'Elbe, puis de la gare, rallier Paris. J'ai un rendez-vous médical que je ne peux rater, il faut absolument que je sois rentré pour le 16 !

Après avoir consulté la météo à de nombreuses reprises René nous propose de partir tout de suite en sachant que ça risquait de remuer quelque peu. Serge acquiesce aussitôt. Nous nous accrochons à l'espoir d'un possible vent mollissant. Je reste sur le bateau pour tenter l'aventure et surtout très satisfait de continuer avec mes charmants compagnons de route.

Nous quittons l'île peu à peu et des averses commencent à nous glacer. Loin de se calmer le vent enfle et la nuit risque de nous sembler bien longue...

Les vagues se creusent et partent dans tous les sens. La mer, très hachée nous rend la traversée de plus en plus incommode.

L'idée de départ était d'essayer de rallier Dunkerque d'une traite si possible mais la route nous semble bien longue dans de telles conditions.

Serge à la surveillance

Au matin, loin de faiblir, le vent atteint en rafales 8 nœuds, nous l'avons de face et les vagues sont de plus en plus grosses.

Nous avons passé la pointe du Texel aux Pays Bas mais la descente vers le sud s'avère de plus en plus problématique. Les courants nous portent au nord et nous n'avançons pas.

Je sens René préoccupé, penché pendant des heures sur sa table à carte pour trouver une solution pour soulager le voilier et les hommes.

Avec cette fatigue et cet inconfort, car nous devons nous tenir sans cesse, j'imagine les difficultés qu'il rencontre. Il ne faut pas faire d'erreur et les responsabilités doivent être pesantes.

Serge surveille la mer à l'extérieur et parfois une déferlante traitresse l'arrose et rentre dans la cabine.

Je me fais tout petit en me calant dans un coin de ma couchette, il n'est plus question de lire à ce moment là, je prends mon mal en patience. L'expérience acquise lors de notre périple en Islande nous sert. Nous avons déjà connu une telle situation.

René prend alors la décision  de partir en fuite vers l'Angleterre. Immédiatement, nous ressentons une allure moins pénible, la marche du voilier semble moins entravée. La deuxième nuit de veille se passe dans le carré, nous surveillons les directions des bateaux sur l'AIS mais nous ne prenons plus le risque de sortir. Nous restons ainsi des heures dans le silence, à écouter les bruits du bateau, à scruter notre vitesse, des heures vides mais si intenses...

14 Octobre

Au matin, le vent mollit peu à peu, mais les vagues font encore taper le bateau bruyamment. Enfin, à 11h nous rentrons dans le port de Lowestoft où nous nous amarrons sans problème. Nous sommes épuisés, nous n'avons rien mangé depuis 48h. Belle sortie en mer, tout de même mais je suis content d'avoir eu un bon skipper, René est vraiment solide dans la difficulté.

Après un repas reconstituant et la douche salvatrice, nous goutons au plaisir d'une balade en ville et nous cédons à la tentation d'un authentique fish and chip qui dans un grand élan de générosité me fait pardonner aux anglais toutes les vilénies qu'ils nous ont fait subir au cours de l'Histoire ! Enfin, on se laisse aller au plaisir de la sieste avant de repartir à 4h du matin.

 

Port de Lowestoft

15 Octobre

Sommeil profond, inutile de prendre des somnifères ou autres boules Quiès quand on voyage ainsi. Levé guilleret à 4h, il ne pleut pas, il fait même doux, l'accalmie est enfin arrivée. Nous avons un créneau de 48h avant que le mauvais temps recommence, c'est largement suffisant.

Nous sortons de nuit de la passe de Lowestoft, Serge assure le quart et nous n'avons plus qu'à retourner nous coucher. A 9h, petit déjeuner, ça bouge un peu mais il fait très beau. Nous filons, le courant est avec nous. Le ciel bleu et le soleil rayonnant n'empêchent pas une certaine fraicheur.

Nous passons de force 4 à force 5 mais la mer ne se forme pas trop. Cependant à midi, personne ne mange par précaution. Nous filons toujours, René prend la décision d'ignorer Dunkerque et de filer jusqu'à Boulogne pour profiter des courants favorables. Tout va bien, nous voyons le terme de notre voyage et nous quitterons La Pensée sans être fâchés avec la mer.

Tout à coup, une fumée noire sort du moteur, à nouveau des fils s'enroulent autour de l'hélice, c'est la troisième fois que nous vivons cette situation. Tant qu'on n'est pas rendu au port, on n'est jamais tranquille ce n'est jamais gagné. Mais là, l'effet de surprise ne joue plus. En moins de temps qu'il faut pour le dire, René sort la pompe et c'est presque une routine quand on rejette l'eau superflue dans la mer. Un coup de marche arrière et La Pensée est à nouveau délivrée de son encombrant passager clandestin.

Nous repartons à vive allure pour profiter des courants favorables du cap Gris nez. Je parie avec Serge que nous arriverons avant 21h, c'est-à-dire bien en deçà des prévisions les plus optimistes à notre départ d'Angleterre. Je finis mon roman Corps et âme, l'histoire d'un pianiste prodige, le balancement régulier de La Pensée ne me gêne pas  pour lire. Le soleil se couche aux abords du cap Gris nez. La nostalgie de la fin d'un beau voyage se fait déjà sentir.

La nuit tombe juste lorsque nous arrivons dans le port de Boulogne. Sur le ponton à 20h45, Serge a perdu son pari. Il a tout fait pour qu'on dépasse le temps fatidique mais en vain, la mauvaise foi de Serge est sans limite... Il inclut le temps de la première bière comme une manœuvre de bateau et prétend donc avoir gagné son pari! Repas à bord, nous sommes joyeux d'arriver à bon port, je finis mon livre dans la soirée, tout le monde dort il est temps que je fasse de même.

La Pensée à BOulogne

 

Pourquoi-pas ?

 

16 Octobre

Nous quittons La Pensée avec 5 000 km au compteur, René en a même 1 500 km de plus que nous...

Au total, cela nous fait plus d'un mois de mer, bien davantage pour René.

« Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage et qui comme cestuy- là qui conquit la toison et puis est retourné plein d'usage et raison vivre entre ses parents le reste de son âge ... »

 

 

 

 

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