Avant Apres Apres

L'évacuation des naufragés

Jeudi 17 septembre 1936

Au petit matin, le consul et ses compagnons de voyage reprennent la route. Après quelques kilomètres, comme prévu, ils descendent du taxi. La crue d'une rivière torrentielle empêche la voiture d'aller plus loin. Le consul a loué quatre chevaux pour traverser la rivière et poursuivre leur chemin le long de la rive droite du Borgarfjörður, où la chapelle et les fermes d’Àlftanes marquent la limite.

La maitresse de maison

 

À Straumfjörður, le bateau de sauvetage Ægir d'Akranes resté sur place, profite de chaque accalmie pour quitter son abri à la recherche d'autres noyés en zigzaguant dans la zone du naufrage. Les fermiers, eux continuent leurs investigations sur la côte.

À la ferme, Þórdís se demande comment restaurer tous les gens qui sont venus. La quantité de ses quelques conserves s'avère rapidement insuffisante. Ingibjörg, qui a passé la nuit à Straumfjörður, téléphone alors chez elle au matin. Elle demande qu'on rassemble toutes ses boîtes de viandes en conserve et qu'on les amène ici. Avec le pain que font Þórdís et Ingibjörg, le grand seau de pommes de terre bouillies et les deux grands seaux de compote de rhubarbe, ces denrées suffiront à nourrir la quarantaine d'hommes qui viendront manger dans la journée.

Dans la matinée le consulat français à Reykjavík essaie de parler au téléphone avec Gonidec, mais sans succès tellement il est mal en point. Quand le médecin du district de Borgarnes, Ingólfur Gíslason arrivé à Straumfjörður, essaie à son tour, c'est son français qui n'est pas assez bon.

 

À Àlftanes, un groupe d'hommes vient à la rencontre du consul et l'informe que les recherches, qui ont duré hier toute la journée, ont repris à l'aube. Les corps ont été rassemblés près de la ferme pour ménager le rescapé qui ne peut marcher très loin pour une identification des victimes.

Le consul de France, le trésorier de l'Alliance française et les deux journalistes islandais poursuivent alors leur route en traversant une longue cuvette de sable dur.

Chemin faisant, au détour d'une dune, ils découvrent, horrifiés, une plage jonchée de « bris de navire » que la marée avait laissés en se retirant.

 

 

Les épaves du Pourquoi pas ? n'avaient pas été poussées en haut de la plage, le long d'une ligne continue. Elles gisaient partout sur la large étendue de plus d’un kilomètre de sable gris, entre la dune et la mer qui grondait encore.

L'équipée laisse leur monture sur la dune et ils errent, effarés parmi les milliers d'objets. Il y avait là des bouées couronnes et ceintures de sauvetage ; des matelas et cousins crevés ; quelques caisses de conserves ; des tables et sièges brisés ; des échelles, des planches ; des poutres ; des avirons, etc.  

Finnbogi Rútur Valdimarsson commence à prendre les uniques clichés de l'après naufrage qui feront le tour des rédactions du monde. Árni Óla prend des notes. Il a oublié son appareil photo chez lui la veille.

Des masses se détachent plus que d'autres : les embarcations brisées du bord : canots de sauvetage et doris en pièces.

 

Le bureau de Jean-baptiste Charcot retrouvé sur la plage

Le consul voit un point saillant au centre de la plage, un meuble qu'il croit reconnaître. C'est le bureau de Charcot, dont le contenu des tiroirs est intact. Il appelle des hommes pour qu'on le retire et qu'on le mette à l'abri.

Çà et là, il repère des pièces de la mission scientifique : des boites d’échantillons, des morceaux d'éprouvettes et des documents mouillés. Il les signale aussi pour qu'on les ramasse.

Leur difficulté de transport rendant impossible de ramener quoi que ce soit, dans l'immédiat, Albert Zarzecki demande que les documents et instruments de bord soient ramassés avec soin et mis de côté.

 

 

Au milieu des débris, il y a aussi beaucoup de jouets. Des jouets rapportés par les marins à leurs enfants et ceux peut-être, destinés aux petits Esquimaux, qui n'avaient pas été distribués.

Árni Óla relève une poupée, puis la repose. Dépassant du sable, il voit un pompon rouge qui tenait encore au béret. Il remonte sur la plage, ouvre son carnet de notes et consigne ses impressions.

Les quatre hommes sont ensuite guidés à la petite anse de Kóranes, en amont de Straumfjörður.

14h00

C'est l'étale de marée basse. Un canot à l’aviron les attend pour traverser. Ils abordent juste en dessous de la ferme isolée.

À gauche du lieu d'accostage, sur la pente qui descend vers l'eau, ils remarquent une grande toile grise que retiennent des pierres.

 

ferme de Straumfjörður ©Savanur Steinarsson-corsairesdango

 

 

Quand le consul arrive à la ferme, trois hommes en sortent, le médecin Ingólfur Gíslason, le fermier Guðjón Sigurðsson.

Celui du milieu, plus petit, hirsute et drôlement accoutré, est le maitre-timonier Gonidec.

Tête nue, les cheveux s’agitant au vent, il porte toujours les vêtements trop grands qu’on lui avait prêtés.

Malgré ses yeux qui le font encore souffrir, il semble complétement rétabli.

 

 

 

Gonidec saisit les mains du consul. Il bégaie, cache sa tête et se met à trembler d’émotion. Il commence à sangloter, puis, il pleure à chaudes larmes. Ses premiers mots s’étranglent dans sa gorge, mais il se remet et commence à raconter comment le naufrage a eu lieu.

À l'intérieur, on installe à table les nouveaux venus. On essaie d'y mettre Gonidec avec le consul et le trésorier de l'Alliance Française afin qu'il puisse leur parler. Il s'assied avec eux mais, un instant après il part en courant pour vomir.

Quelques instants plus tard, le consul lui demande s'il se sent capable de reconnaître les corps qui ont été retirés de l'eau. Gonidec n’avait pas l’air de comprendre. Ce ne fut qu’à la question répétée qu’il répond :

Je suis à votre disposition.

Tous sortent et le Guðjón désigne discrètement la toile grise. Un cortège se forme, Gonidec marche à côté du consul dans le bruit du fracas de la mer.

Là, à proximité de la ferme, les vingt-deux corps que l’on avait ramenés et étendus côte à côte sont recouverts. M. Zarzecki demande que la bâche soit retirée. L’émotion est intense.

À la vue de ses camarades, Eugène Gonidec reste tout d'abord cloué sur place, puis fond en larmes une nouvelle fois. Le consul est lui aussi ému devant la tristesse causée par le spectacle. Ces hommes, il les avait reçus dans la joie au milieu d'amis à Reykjavík. Ils les avaient vus, deux jours plus tôt, vivants et heureux de rentrer chez eux.

 

Corps des naufragés du pourquoi-Pas ?

 

 

 

Plusieurs d’entre eux avaient des plaies, causées vraisemblablement par des chocs contre les épaves ou les rochers.

L'artiste-peintre Badeuil a le pied abîmé ; le docteur Parat, dans ses vêtements gris, a une plaie à la tête mais, il a encore ses lunettes intactes et ses chaussons.

Dans son costume et sa chemise bleue et bottes de cuir jaune montant jusqu'aux genoux, Le docteur Charcot semble dormir.

 

 

Je suis prêt, chuchote Eugène Gonidec.

Il passe lentement devant ses amis, les noms ont du mal à sortir de sa gorge. Le consul consigne l'identification.

Nicolas François, quartier-maître mécanicien

Brochu Francis, quartier-maître de manœuvre.

Mahé Jean, quartier-maître timonier.

Malesieux Gaston, quartier-maître boulanger.

Puis un autre, un autre, et encore un autre et tout à fait à l’extrémité de la ligne, il dit simplement : « le Docteur ».

Grâce à Gonidec, toutes les dépouilles sont identifiées. Cette terrible besogne terminée, il fait ses adieux à la ferme et à tous ses occupants car dans une demi-heure, il doit partir pour rejoindre Reykjavík.

 

Collecte de débirs

 

 

Au large à marée basse, les mâts du Pourquoi-pas ?, ont tout à fait disparu et il n'y a plus aucun espoir de retrouver un homme vivant.

Après avoir croisé pendant 48 heures sur les lieux du naufrage dans l'espoir de découvrir des naufragés, au risque de sombrer à tout instant, le bateau de sauvetage Ægir d'Akranes gagne une crique du noroit.

Avant de partir, Albert Zarzecki sollicite le patron de l'Ægir et lui demande de ne pas rentrer à Akranes sans y emmener les corps, que l'on souhaite ramener à Reykjavík le lendemain.

 

 

 

 

 

17h00

Accompagné de Gonidec, le consul et ses compagnons prennent le chemin du retour dans le mauvais temps qui n'a pas cessé depuis le soir du mardi 15 septembre. Dans la pluie et le vent, le passage du fjord est rendu difficile par la violence de la marée et du ressac et ils doivent traverser par le haut. Le cheminement se fait par la lisière des prairies, en retrait des plages que la marée à reprise, poussée par une mer violente. Sur l'autre rive, le fermier qui veillait sur les chevaux est là avec un poney pour Gonidec. Le temps fraichit et la nuit tombe vite.

Après une averse courte et drue il fait déjà sombre lorsqu'ils arrivent à Àlftanes. Borgarnes et le passage de la rivière en crue sont encore loin. Le consul décide de passer la nuit sur place et charge Pjetur Gunnarsson de chercher un gîte pour la nuit.

C'est dans une même petite salle, qu'ils partagent avec le fourrage de l'hiver, qu'ils dorment sur des lits de camps. Les tôles du toit s'agitent et le vent secoue la veilleuse allumée au-dessus de la porte. Gonidec s'endort presque tout de suite et plonge dans un sommeil profond.

 

Trajet du consul

 

Vendredi 18 septembre 1936

2h00

L'averse réveille en sursaut Albert Zarzecki. Une bourrasque s'élève, le vent se plaque sur le mur droit du bâtiment avec force. Dans le lit voisin, Gonidec dort toujours.

6h30

Les cinq hommes reprennent la route du retour. À Borgarnes, le consul de France se met en communication avec le Gouvernement en vue des dispositions à prendre pour le transport à Reykjavík des corps des naufragés du Pourquoi-pas ?.

Au Préfet de Borgarnes, M. Zarzecki demande de vouloir faire transporter à Reykjavík, lorsque la chose sera faisable, ce qui a été trouvé du Pourquoi-pas ?

Dans l'après-midi le vent redouble. Seul capable dans sa maniabilité d'accoster à Straumfjörður, le très courageux bateau de sauvetage Ægir d'Akranes aborde sous la ferme, pour charger les corps au renversement de marée.

 

15h45

Le consul et ses compagnons arrivent à Akranes en voiture. Ils embarquent à bord de l'aviso danois Hvidbjörnen qui les attend.

 

Embarquement  à bord de l'Hvidbjörnen

16h00

Venant du Nord, ils aperçoivent le bateau de sauvetage Ægir. La tempête continue et la houle devenue trop forte rend dangereux le transbordement des corps prévu devant Akranes. Le commandant de l'Hvidbjörnen décide le faire plus au Sud.

L'Ægir d'Akranes et l'aviso danois embouquent le Kollafjörður et de mettent à l'abri entre l'île de Viðey la presqu'île de Geldinganes.

l'aviso danois Hvidbjörnen

Les bateaux placés bord à bord, les vingt-deux civières confectionnées sur l'Hvidbjörnen sont passées sur le bateau de sauvetage.

De la cale de l'Ægir où ils se trouvent étendus, les corps sont retirés et déposés chacun sur une civière pour y être encordés, les mains croisées sur la poitrine. On a enveloppé dans une toile ceux qui étaient presque nus. À tous on a recouvert le visage. Et de pont à pont, le transbordement se fait, les mouvements de mer arrêtant parfois la manœuvre.

Du haut de la passerelle de l'Hvidbjörnen, le consul suit la pénible opération effectuée sous la direction du médecin de bord, le Docteur Tramsen, avec le concours de tout l'équipage.

Ces jeunes hommes, fortement impressionnés surmontent leur émotion de retrouver ainsi les camarades avec lesquels ils avaient fraternisés pendant le séjour du Pourquoi-pas ? à Reykjavík.

Les civières, l'une après l'autre, sont groupées sur le pont arrière de l'aviso, où elles sont aussitôt recouvertes chacune par un pavillon.

 

 

19h00

Le transbordement terminé, l'Hvidbjörnen fait route lentement sur Reykjavík, pavillon danois en berne, éclairé, au mât de pavillon, et pavillon français en berne, éclairé aussi, à la corne du mât d'artimon.

À petite vitesse, l'aviso pénètre dans le port de Reykjavík. Il défile devant les bâtiments, remorqueurs, chalutiers et cargos, grands et petits. Tous ont le pavillon en berne.

 

 

20h00

Dans la nuit, l'Hvidbjörnen accoste doucement à un quai éloigné, face à la pente qui mène à la cathédrale.

Sur le quai, dans un impressionnant silence seulement troublé par le son des cloches des églises de la ville, une foule recueillie est massée derrière un cordon de scouts.

Au premier rang, se trouve le Premier ministre, le chargé d'affaires du Danemark avec son épouse, le consul général du Suède. Rapidement et sobrement, devant une foule muette, les corps sont une fois de plus déplacés du bateau pour aller à terre.

Eugène Gonidec à bord de l'aviso danois Hvidbjörnen

 

Le débarquement s'effectue dans un ordre parfait. Les officiers se tiennent sur le pont arrière de l'aviso en grand uniforme, l'épée au côté, tandis que les marins font une haie d'honneur au passage des civières.

Un groupe de matelots a sauté sur le quai et le premier camion non bâché, d'une file de onze qui se tiennent prêt, s'avance le long du bord, se range à leur hauteur et s'arrête devant l'échelle.

Les marins grimpent sur la plate-forme du camion, deux civières enveloppées de pavillons leur sont présentées, ils les posent avec soin l'un contre l'autre et le camion repart lentement pour faire place au suivant. Chaque fois que le chargement est terminé, un piquet de marin présente les armes.

Le débarquement terminé, M. Zarzecki quitte le bord et reçoit les condoléances des autorités du port et de la ville. Eugène Gonidec, reste seul sur le pont supérieur de l'Hvidbjörnen, penché à la lisse. Il est désormais vêtu d'un costume sombre à sa taille, qui tient du civil et du militaire. Soudain, il comprend qu'il faut descendre et il se place derrière le onzième camion.

Dans la ville les cloches sonnent toujours.

 

 

En voiture, l'évêque de Reykjavík, Monseigneur Meulenberg, à qui Charcot avait remis la croix de Commandeur de la Légion d'Honneur quelques jours auparavant, prend la tête du cortège qui se met lentement en route pour traverser la ville jusqu' à l'hôpital français de Landakot.

L'hôpital de Landakot

À l'hôpital, dans le local que l'évêque a fait préparer, les corps sont placés sur des tréteaux au milieu des fleurs envoyées par les autorités et les particuliers. Monseigneur Meulenberg leur donne une courte bénédiction.

 

 

Eugène Ginudec et Pjetur Gunnarsson

 

 

 

Eugène Gonidec est conduit au consulat, où logé, il reçoit les meilleurs soins et de nombreuses marques de sympathie.

Les jours suivants Gonidec fait l'objet d'un étrange et incompréhensible comportement de la part des habitants dans les rues de Reykjavík.

Les tempêtes en Islande sont fréquentes et les femmes, mères, épouses et fiancées attendent ceux qui parfois ne reviennent jamais. Quiconque a échappé à une tempête, surtout aussi violente que celle de surcroît du 16 septembre, est protégé par les Puissances, il est « feigur ». C'est désormais une force qui est en lui. On peut l'obtenir de celui qui a été sauvé de la mer, en échange d'un cadeau.

Aussi, cachées au coin des rues de Reykjavík, les femmes le guettent, puis se précipitent sur lui. Elles passent rapidement leurs mains sur son bras et sa poitrine et s'enfuient à toutes jambes de peur qu'il ne refuse le cadeau qu'elles lui ont placé. Et cela se répète, une fois, deux fois, dix fois. Gonidec supporte mal ses comportements et quelques jours plus tard, il perd son calme, s'irrite malgré les explications qu'on lui donne, mais qui ne l'apaise pas.

 

 

 

 

Le contre-torpilleur Audacieux

 

Le lundi 21 septembre196, tard dans la journée, le contre-torpilleur Audacieux, commandé par le capitaine de frégate Marzin, qui a reçu l'ordre de faire ses approvisionnements pour se rendre sur le lieu du naufrage afin de rechercher, le cas échéant, les corps qui n'auraient pas été rejetés par la mer, arrive à Reykjavík.

 

 

 

 

 

 

 

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