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Le sauvetage d'Eugène Gonidec

Mercredi 16 septembre 1936

 

Vue du ciel de Straumfjörður et de la ferme

 

Au-delà de la pointe effilée d'Akranes, et passé le large estuaire encombré d'écueils du Borgarfjörður sur le golfe, se trouve l'entrée aigüe d'un fjord secondaire au courant violent, le Straumfjörður (le fjord au courant).

Sur sa rive droite, à 700 mètres de l'embouchure et en retrait d'une petite baie intérieure, se trouve un vieux bâtiment de ferme. Sur des kilomètres et des kilomètres, c'est la seule zone d'activité humaine.

Au petit jour du mercredi 16 septembre 1936, Kristján Þórólfsson se réveille une heure plus tôt que d’habitude et peu de temps après, sort au milieu d'une tempête venue du Sud.

Vers 5h20

En descendant de la ferme, Kristján Þórólfsson et son père adoptif, Guðjón Sigurðsson aperçoivent un trois-mâts à la dérive vers la côte.

Le navire est à moins de deux milles nautiques de la terre. Il est encore tout à fait hors de l’eau et vient lentement vers la terre, sa proue tournée au vent.

En voyant le navire, quelques minutes leur suffisent pour comprendre qu’un naufrage est imminent, et se rendre compte du malheur terrible qui arrive.

Tous deux se pressent vers la partie sud de l’île.

 

 

Après l'avoir perdu de vue quelques minutes, le temps d'atteindre la falaise de Höllubjarg, ils retrouvent le navire qui a entre-temps changé de place et dépassé le récif de Hnokki.

 

Vue de Hnokki depuis Höllubjarg

Vers 6h00

Le Pourquoi-pas ?

L'eau arrive désormais au milieu du pont du Pourquoi-pas ? .

Les hommes d'équipage survivants ne se résignent pas à la mort. Ils se jettent à l'eau les uns après les autres.

Malgré ses conseils, Gonidec voit un de ses camarades enlever sa veste. Lui, boutonne sa vareuse, retourne toutes ses poches et enlève ses bottes pour ne pas s'alourdir dans la mer.

Il voit nager plusieurs de ses camarades vers la côte. Ceux qui s'imaginent les plus chanceux s'appellent Pochic et Jaouen. Ils ont réussi à mettre un doris à la mer. Les deux matelots rament de leur mieux au milieu des flots déchaînés. Ils plongent avec toute la force de leurs bras, les avirons dans les lames et naviguent vers la côte. Tous les autres, capelés de leurs ceintures ou de bouées couronnes sont à la mer. Ils s'accrochent à des morceaux d'épave, entre deux gifles de la baille, deux tasses, deux hoquets

Malgré un vomissement, Eugène Gonidec s'élance vers le grand canot encore à sa place. En poussant l'embarcation, Gonidec est bousculé par une déferlante qui noie le pont et brise l'embarcation. Il se heurte au pavois et tombe à la mer. L'eau est glacée, il suffoque. Gonidec nage, la mer le pousse.

 

Kristján Þórólfsson et Guðjón Sigurðsson voient le trois-mâts qui commence à s'engloutir dans la mer démontée. Ils scrutent la zone à la recherche de marins pris dans les lames. Mais les jumelles de Kristján ne sont pas en très bon état. Ils aperçoivent une passerelle qu'ils suivent du regard mais sans distinguer de vie dessus. « Ce n'est qu'un débris », pensent-ils.

 

Projeté à l'eau, Gonidec atteint le doris à moitié rempli d'eau où se trouvent déjà le matelot Jaouen et le quartier-maître de manœuvre Pochic.

Au sommet d’une vague énorme il aperçoit une dernière fois le Pourquoi-pas ?, tout près encore. Du navire, il n'aperçoit plus que les mâts et la passerelle sur laquelle se trouve le docteur Parat. À ses côtés se tiennent toujours debout, sans leur ceinture de sauvetage, le Docteur Charcot, le commandant Le Conniat et le maître-principal Floury qui n’ont pas bougé de leur poste.

Pochic et Jaouen écopent et nagent comme de forcenés mais une déferlante engloutie d'un coup l'embarcation dans les profondeurs de l'océan.

Les trois marins pataugent dans l'écume. Ils nagent en s'aidant du courant. Pochic est distancé.

Gonidec saisis un chantier d'embarcation qui passe à portée et se laisse emporter en même temps que le matelot Jaouen accroché lui aussi à la même pièce de bois.

Après de longs instants, Gonidec aperçoit la terre et une maison en arrivant aux crêtes des lames. Il encourage le matelot Jaouen qui nage auprès de lui assez longtemps :

– Jaouen, si on atteint cette maison on est sauvé, dit Gonidec.

 

Vue de la mer de la ferme de Straumfjörður

 

Mais le matelot Jaouen donne des signes de fatigue et bientôt ne peut le suivre. Dans une eau à 4°C, le froid le paralyse. Une vague déferle sur eux et Gonidec se retrouve seul. Ne sentant, lui non plus, ni ses doigts, ni ses pieds, il abandonne le chantier pour essayer de nager.

 

Gonidec

Il nage, il nage, et bientôt rattrape le quartier-maître mécanicien Péron qui s’agrippe à une bouée couronne. Ils s'encouragent mutuellement pour garder courage et lutter contre le froid qui les tenaille. Devant eux, ils aperçoivent l'échelle de débarquement.

L'échelle rattrapée, ils s'y agrippent et déploient des efforts inouïs pour nager vers la terre qui leur semble à portée de quelques brasses.

Mais au bout de cinq minutes, tout proche du but, Gonidec entend Péron pousser deux ou trois drôles de cris « Hou ! Hou ».

Péron devenu tout violet a lâché prise. Il avale un paquet de mer, éructe et lève les bras au ciel. Ses yeux se révulsent et il coule immédiatement sous les yeux de son compagnon.

Gonidec est épouvanté. À demi couché sur la passerelle, il s'évanouit à moitié et se laisse dériver, chahuté par les embardées violentes des vagues.

 

Kristján et Guðjón sont toujours sur la falaise de Höllubjarg.

– Il n’y a rien à voir ici, dit Guðjón et d'ajouter :

–  Il vaut mieux que j’aille mettre un bateau à notre disposition au cas où ça pourrait servir.

 

Vue de la mer d'Höllubjarg

 

Pendant que Guðjón part chercher dans une autre direction le long de la mer, et téléphoner à tous les voisins à Akranes pour qu’on leur envoie un canot de sauvetage, Kristján cherche les éventuels naufragés parmi les épaves éparses sur les flots. Les heures passent et restant là seul, Kristján commence peu à peu à penser que tout l’équipage a péri car il lui semble presque impossible d’atteindre la terre par une pareille tempête au milieu des récifs.

Soudain il sursaute. À 400 mètres au sud de Höllubjarg, Kristján aperçoit un planchon dériver sur les lames. Assurément il y a un signe de vie sur la passerelle.

Il examine avec ses jumelles et distingue un homme à moitié couché sur une échelle de coupée, s’y accrochant de la main droite et se tenant la tête avec la gauche. Il semble avoir perdu connaissance.

Mais Gonidec est conscient. Lui aussi a aperçu quelqu'un qui semble l’attendre sur le rivage.

Kristján ne pense plus à autre chose qu’à sauver cet homme. Il lui fait signe de se diriger vers une crique rocheuse située au Nord-Ouest de la falaise. Gonidec lâche la passerelle et se laisse aller à la dérive, seulement porté par sa ceinture de sauvetage, en pagayant avec ses bras.

Vers 8h30

L'apparition d'épaves sur le rivage d'Akranes donne le premier avertissement qu'une catastrophe s'est produite.

 

À Straumfjörður, Kristján veut sauver le naufragé coûte que coûte. Il dévale la falaise et rejoint la petite langue de sable de la crique d'Hölluvarir en contre-bas, qui se découvre quand les lames se retirent. Mais si le naufragé atterri dix mètres plus à l’Est, il sera assommé sur les rochers.

 

Crique d'Hölluvör

Par miracle, le naufragé passe entre les rochers et s’approche de la crique.

Tout d’un coup, Kristján se demande s'il ne vaudrait pas mieux appeler des renforts. Il remonte pour voir s'il y a quelqu'un aux alentours. Il a de la chance. Il aperçoit la fille de ferme, Sigríður Þorsteindóttir, qui vit également à Straumfjörður.

Et tout en courant, Kristján hurle à la femme qui arrive pour l’aider, et redescend vers la plage.

Il se précipite dans l’eau qui lui monte par moment jusqu’aux aisselles. Les lames sont énormes. La crique rocheuse est profonde et dangereuse.

 

Téléphone de la ferme de Straumfjörður

 

 

Vers 9h00

Près d'Àlftanes, à la ferme d'Hofsstaðir, pendant qu'elle ramasse ses pommes de terre éparpillées par le vent, Ingibjörg Friðgeirsdóttir entend qu'on parle au téléphone. Elle rentre chez elle, prend l'écouteur et entend Guðjón Sigurðsson de Straumfjörður dire : « Il est probable que quelques vies se sont perdues en mer cette nuit ».

Guðjón parlait avec Sigmunður Sigurðsson, le chef de la poste téléphonique d'Arnarstapi, et lui demandait d'informer la compagnie de sauvetage Slysavarnarfélagið.

Il avait vu un navire s'abîmer dans les récifs plutôt dans la matinée, mais le téléphone, un poste de 3ème zone, ne fonctionne qu'à partir de 9h00 et il n'y a pas de poste téléphonique en cas d'urgence.

 

À Hölluvarir, Kristján arrive à attraper le naufragé. Quand il lui saisit la main, Gonidec sent une violente douleur et perd connaissance. Une vague les engloutis et il revient à lui dans l’eau.

Les vaguent bousculent les deux corps mais Kristján ne lâche pas. Ils s'accrochent mutuellement par les mains et se laissent glisser jusqu’au fond de la crique. Kristján se redresse et tire Gonidec vers le sable. Une autre lame les roule. À tout moment, ils peuvent s'assommer sur les rochers mais les nombreux débris de bois atténuent les coups les plus durs.

 

Sauvetage

 

Avant que la vague suivante les attaque et les entraine vers le large, Kristján s'agrippe à un rocher. Avec une peine immense, Kristján réussit à tirer Gonidec hors de l’eau en trainant à terre son corps alourdi par le poids de la mer.

 

Albert Zarzecki, Consul de France à Reykjavík

9h15

La nouvelle du naufrage du Pourquoi-pas ? s'est rapidement propagée jusqu'à Reykjavík. Le consul de France à Reykjavík, Albert Zarzecki, reçoit de la part d'une employée du télégraphe, la nièce de la présidente de l’Alliance Française, un coup de téléphone lui disant que, d’après une rumeur qui commence à se répandre, le Pourquoi-pas ? a fait naufrage à l’aube sur la côte ouest d’Islande.

Tout d'abord incrédule, le consul pense que le Pourquoi-pas ? qui faisait route vers l'Est devrait se trouver au Sud de l'Islande.

Néanmoins, il appelle aussitôt le président de la Société de sauvetage, le Premier Ministre et le Chargé d'affaire de Danemark.

Le président de Société de sauvetage lui confirme qu'il y a bien eu un naufrage à l'aube sur les écueils devant Straumfjörður au-delà du Borgarfjörður.

M. Zarzecki téléphone ensuite au médecin du district de Borgarnes, Ingólfur Gíslason et lui demande de se rendre au plus tôt à la ferme de Straumfjörður.

 

 

Recueilli par le jeune paysan islandais, Eugène Gonidec, à demi conscient, arrive enfin à toucher terre. Là au sec, il s'évanouit.

Kristjàn Þórólfsson (1917 - 1977) et Eugène Gonidec (1906 - 1984)

 

– Cours chercher mon père et demande-lui de m’aider à ramener cet homme. Je suis épuisé, demande Kristján à Sigríður qui les a aidés à sortir de l’eau.

Guðjón arrive sur la plage d'Hölluvarir au moment où Kristján est à genoux à côté de Gonidec. Allongé sur le sable, il a repris conscience mais Kristján ne comprend pas ce qu’il murmure en français.

On essaie de lui faire comprendre qu’on veut le porter sur le dos, mais Gonidec refuse.

Kristján regarde la plage. À tout moment il espère voir arriver d’autres survivants. Il ne sait que faire car il voudrait emmener le naufragé à la ferme, mais il ne veut pas abandonner la plage au cas où d’autres marins auraient besoin de son aide.

Mais il faut porter le rescapé à deux. C'est à regret que Kristján s’avance en direction de la ferme.

 

 

 

La ferme de Straumfjörður

 

 

 

 

Au sommet de la dune, quand la maison apparaît, Gonidec crie de joie et fait comprendre qu’il peut essayer de marcher seul.

 

 

 

 

 

Le fourneau de la ferme de Straumfjörður

Dans la cuisine, Þórdís Jónasdóttir, la femme de Guðjón, a allumé et activé le grand fourneau. Il fait très chaud à l'intérieur.

En attendant le cortège, elle est au téléphone avec Ingibjörg qui, inquiète la rappelée pour de plus amples détails sur ce qui se passe à Straumfjörður. Quand soudain Þórdís interrompt son récit et s'écrit :

– On apporte un homme à la maison !

Ingibjörg prend rapidement congé de son amie et raconte à son mari, Friðjón Jónsson, ce qui vient de se passer. Ils décident de prendre les chevaux et de se rendre à Straumfjörður pour offrir leur aide. Les voisins des fermes environnantes feront de même par la suite.

 

Le bateau de sauvetage à moteur Ægir d’Akranes

 

Vers 9h30

Le bateau de sauvetage à moteur Ægir d’Akranes arrive Straumfjörður.

9h50

Le garde-côte, portant également le nom Ægir, reçoit l’ordre des autorités locales de quitter immédiatement le port de à Reykjavík pour rejoindre le bateau de sauvetage et se porter au secours du bateau français. En même temps, l’aviso danois Hvidbjörnen, qui s’était mis à l’abri dans l'Hvalfjörður, se rend d’urgence sur les lieux.

 

 

 

Dans la cuisine Gonidec, après avoir nagé plus de trois heures dans l'eau glacée est épuisé, désorienté. De plus, il ne comprend pas la langue dans laquelle on lui parle.

On tente d'abord de lui enlever ses vêtements mouillés. On le déshabille mais il proteste quand on veut lui ôter son tricot de corps. Au grand étonnement des Islandais, il refuse de quitter ses sous-vêtements.

Alors Þórdís chauffe des vêtements de rechange dans le fourneau, puis elle prend une chemise chaude qu'elle lui met autour du cou et sur sa joue. En sentant la chaleur, il cesse de protester et enlève lui-même son tricot de corps.

 

Même si les vêtements ne sont pas exactement à sa taille, on ne peut pas faire autrement que de l'habiller avec les vêtements de Guðjón.

Car bien qu'assez grand, même pour l'époque, Guðjón est moins grand que Kristján.

Gonidec lui, petit, assez fort et large d’épaules, ne veut plus porter ses propres vêtements.

Habillé de vêtements chauds et secs, on lui donne un grand bol de café brûlant et, chose rare à cette époque, quelques gouttes de Cognac retrouvé dans une armoire.

Ces attentions ont raison de Gonidec qui revigoré, prend dans ses bras et embrasse ses bienfaiteurs à ne plus les lâcher.

 

 

 

Mais Kristján et Guðjón n'ont plus le temps de s’occuper de lui. Ils sortent et retournent à Hölluvarir pour sauver ceux qui pourraient être amenés jusqu’à terre par les lames. Les coups de fils ont produit leur effet. De part et d'autre de Straumfjörður quelques sauveteurs sont à pied d'œuvre, tandis qu'on couche Gonidec sur un banc dans la cuisine où il s'endort un peu plus tard.

 

Ingibjörg Friðgeirsdóttir en 1982

Les hommes trouvent les premiers corps échoués à Ólafsvík, près des bergeries : le Docteur Maurice Parat, l'artiste peintre Jean Badeuil. Le troisième corps est reconnu immédiatement par les Islandais : le Docteur Jean-Baptiste Charcot.

On les agrippe, les tire vers la grève. Mais hélas ! Ils sont déjà froids, glacés. On cherche à les ranimer. Rien à faire,  la vie a quitté à jamais leur corps. Leur visage marque un calme irréel.

Quand il n’y a plus de corps rejetés sur la plage devant la ferme, ils vont en bateau au sud du fjord pour chercher les corps qui seraient là.

En faisant route, il repêche un quatrième corps et là-bas, ils trouvent jusqu'à huit corps à la fois qui avaient dérivés.

 

Þhordís Jansedóttir et Guðjón Sigurðsson

 

11h00

Renseigné sur l’emplacement exact où s’était produit le malheur, le consul téléphone à la ferme de Straumfjörður.

Þórdís lui apprend qu’un marin français vivant a été recueilli sur la grève, II avait été transporté et soigné à la ferme, et que maintenant, il est endormi.

Un marin français ! Les doutes du consul s'amenuisent.

Quelques minutes plus tard, Guðjón rappelle le consulat, confirme les dires de sa femme et ajoute qu'une dizaine de corps ont été retrouvés par les sauveteurs et que malgré tous les efforts tentés, il avait été impossible de les ranimer.

Le consul le prie alors de le rappeler dès que le marin sera réveillé.

 

Le mât du Pourquoi-pas ? avant le naufrage

 

 

 

 

 

Vers 12h00

Le bateau à moteur Ægir d’Akranes réussi à s'approcher de l'épave pour chercher d'éventuels rescapés. Mais du Pourquoi-pas ?, il n'en reste plus que les mâts. Le navire est brisé.

Au même moment Eugène Gonidec reprend ses sens après avoir été soigné de façon admirable par toute la famille. Il téléphone aussitôt au consul de France à Reykjavík pour lui apprendre le naufrage et se faire connaître.

Oui, Monsieur le consul, je suis du Pourquoi-pas ?, Eugène Gonidec, maître-timonier.

Oui, Monsieur, le bateau est perdu.

Malgré tous les doutes que le consul s’efforçait d’entretenir sur l’identité du navire, il lui faut à ce moment, abandonner tout espoir d’erreur. Après que Gonidec lui déclare être tout à fait remis, Albert Zarzecki lui demande de se rendre sur le rivage et de lui dire s'il peut voir le Pourquoi-pas ?, pensant encore que les deux Ægir et l'Hvidbjörnen peuvent sauver tous ceux qui n'ont pas quitté le navire.

Un instant après, le téléphone sonne à nouveau, c’est Gonidec :

– Il y a les mâts qui dépassent, c’est tout ce que je vois, il y a des épaves, beaucoup d’épaves... mais personne dans la mâture.

Après avoir pris congé de Gonidec, rien ne pouvant plus être tenté de Reykjavík, le consul décide de partir pour Straumfjörður, laissant ici son adjoint en vue d'assurer sa liaison avec le Département, le gouvernement islandais et toutes les autorités.

 

Pjetur Gunnarsson

La radio islandaise a diffusé la nouvelle de la catastrophe qui va se répandre partout en Europe et dans le monde.

Aussi, le rédacteur en chef du quotidien Morgunblaðið envoi le journaliste Árni Óla, pour se rendre sur le lieu du naufrage avec le consul.

Un taxi est stationné devant le consulat. Le journaliste rejoint M. Pjetur Gunnarsson, trésorier de l'Alliance Française qui s'est offert d'accompagner Albert Zarzecki, et le journaliste du quotidien Alpýðublaðið, Finnbogi Rútur Valdimarsson qui parle français, convié par le consul de France.

En temps normal pour parvenir à Straumfjörður, le plus rapide est la voie par mer avec un trajet de 22 à 24 miles nautiques. Mais outre qu'on ne pouvait y songer à cause de la tempête, il n'est pas sûr de trouver un bateau prêt à partir immédiatement.

C'est donc en automobile, puis à cheval par des chemins mauvais et détrempés, qu'ils doivent parcourir une distance de 130 à 140 kilomètres.

Sur une route défoncée, avec de vieux petits ponts de mauvaises planches et des lacs de boue partout, le taxi peine, saute et glisse pour se rendre à la ferme.

 

Quand Ingibjörg et son mari arrivent à Straumfjörður, elle voit le mât du Pourquoi-pas ? sortir de l'eau. Le téléphone n'arrête pas de sonner. On demande souvent si on a repêché un homme âgé avec une barbe et des cheveux gris.

 

s Jónasdóttir et Sigrídur Porsteindóttir ©Svanur Steinasson - corsaireIngibjörg Friðgeirsdóttir, Eugène Gonidec, Þórdís Jónasdóttir et Sigrídur Porsteindóttir ©Svanur Steinasson - corsairesdango

 

Autour d'Eugène Gonidec, les femmes font leur possible. Il ne mange presque rien car, à part un peu de café et du lait qu'on peut lui donner, il vomit le peu qu'il mange.

Il y a toujours quelqu'un près de lui quand il se déplace. On essaie de ne pas le laisser à côté de la maison d'où il pourrait voir l'épave, mais aussi les cadavres qu'on retire de la mer.

Mais une fois, il se met à la porte. Malgré ses yeux injectés de sang, enflés et brulés par le sel, il voit qu'il se passe quelque chose sur la plage de Kirkjusandur. Il chancèle et s'appuie contre la maison.

 

 

 

Mais au moment où il aperçoit un corps dériver vers la plage, c'est comme si une force surhumaine l'animait tout d'un coup.

Il se met à courir et dévale la pente, il saute dans le sable meuble de la plage. Là-bas trois hommes dont Friðjón Jónsson, le mari d'Ingibjörg, attendent que le cadavre se rapproche pour le repêcher. Gonidec reconnait le corps qui arrive.

Il veut aider à soigner les noyés et essaie d'expliquer qu'on doit tirer la langue du naufragé pour vider l'eau de mer de son corps. Mais personne ne le comprend. De toute façon il est trop tard.

Désemparé et terriblement attristé, il voit qu'on tire un de ses compagnons de la mer et personne ne peut lui dire un mot pour lui expliquer ce qui se passe. Il lève les mains au ciel.

Ingibjörg qui l'a rejoint, lui prend le bras et essaie de le ramener. Gonidec est comme une machine sans volonté et semble s'affaisser à chaque pas. Sur le chemin de retour, Ingibjörg qui connait l'air de l'hymne national français, lui chantonne La Marseillaise sur le chemin vers la ferme. Gonidec, lui adresse un regard reconnaissant.

Ramené à la ferme, on veut l'installer dans une autre pièce mais il ne veut pas qu'on le veille. Préférant rester dans la cuisine, où il ne peut pas voir tout ce qui se passe, il se couche sur le banc et ne sort plus de la soirée. On lui donne un peu de café et du lait mais il vomit toujours le peu qu'il mange.

Les corps des naufragés continuent d'être rejetés sur les plages. Le flux les amène les uns après les autres sur la plage tranquille de Röst (le gouffre). Beaucoup de gens sont présent sur les lieux et font au mieux de leurs possibilités pour réceptionner les corps.

 

L'équipage du bateau de sauvetage Ægir

Leur présence sur les lieux étant inutile, voire dangereuse, le garde-côte Ægir et l'aviso danois Hvidbjörnen sont rentrés à Reykjavík.

Seul le bateau de sauvetage Ægir d'Akranes est resté sur les lieux, et de part et d'autre des rives de Röst, son équipage récupère les cadavres.

Même si les deux tiers des corps ont été découverts sur les grèves de gauche, ils ont tous été rassemblés sur la rive droite en amont du fjord, entraînant des passages compliqués avec les canots.

Là, près de Borgarlækur, 22 corps sont ramenés à terre sur une pente située au sud de la ferme.

 

Chambre

 

Le soir, la plupart des gens venus pour aider sont retournés chez eux et certains sont restés à la ferme.

Guðmunður Guðjónsson, 1er pilote du bateau de sauvetage Ægir, parle un peu anglais. Il essaie de s'occuper d'Eugène Gonidec comme il peut. Les lits préparés, on les fait dormir dans une chambre près de la salle de séjour. Guðmunður veille attentivement sur Gonidec, car très souffrant, on peut s'attendre à ce qu'il tombe gravement malade pendant la nuit.

Quand les gens se sont couchés, le travail n'est pas terminé à la ferme. Þórdís sort s'occuper des vaches avec Ingibjörg qui l'accompagne pour porter la lanterne. Elles ne termineront que le lendemain matin. Kristján, lui surveille les corps recueillis sur le rivage à cause des moutons dans les pâturages.

Dehors, le bruit de la mer est terrible.

 

 

Árni Óla Finnbogi Rútur Valdimarsson

 

 

 

 

À Borgarnes, au crépuscule, l'équipe venue de Reykjavík s'arrête pour passer la nuit.

L'hôtel est petit et tandis qu'Albert Zarzecki partage sa chambre avec Pjetur Gunnarsson, les journalistes, Finnbogi Rútur Valdimarsson du journal de gauche, et Árni Óla du journal conservateur, en occupent une seconde.

 

 

 

 

 

 

 

 

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