Le naufrage du Pourquoi pas ?

Extrait du texte d'Albert Abelanet, capitaine au long cours, paru dans les annales 1986 de l’Institut Méditerranéen des Transports Maritimes et dans la Chronique d’histoire maritime - n°14 - 2e semestre 1986.

 

Le 17 septembre 1936, Eugène Gonidec se réveillait dans un lit bien douillet entouré de bouillottes chaudes qui lui procuraient une sensation de bien-être. C’était comme si la vie revenait à lui.

Cette sensation n’avait duré que l’instant d’un éclair : tout à coup, il venait de réaliser l’horreur du cauchemar qu’il avait vécu la veille.

Il se rappelait l’eau glacée, les vagues énormes qui se brisaient sur les rochers, ses membres engourdis et sa volonté d’atteindre le rivage où un jeune homme semblait l’attendre : puis les paysans qui l’aidaient à marcher, une femme, une cuisine, un poêle : on le forçait à se déshabiller.

 

L'état-major du Pourquoi pas ? au Groenland. De gauche à droite :
Eugène Gonidec ; Le premier maître-mécanicien Bastien,
le premier maître de manœuvre Le Guen ; le commandant Le Conniat ;
le maître-timonier Cabon ; le maître principal pilote Fleury.

L'état-major du Pourquoi-Pas ?

Que s’était-il passé ?

Gonidec avait embarqué à Saint-Malo au mois de juillet précédent sur le Pourquoi pas ? comme chef de quart. C’était le navire du docteur Jean-Baptiste Charcot, mondialement connu pour ses travaux  de découverte dans les régions polaires.

Cette année, c’était une mission hydrographique qui avait conduit le navire au Groenland. La campagne s’était déroulée sans incident, sauf une petite avarie de chaudière sur le retour. Le Pourquoi pas ? était avant tout un voilier, ceci ne l’handicapait guère : mais le commandant Le Conniat avait accepté la remorque de l’aviso Hvuidjorn pour renter à Reykjavík où était prévue une escale.

 

 

Charcot depuis sa retraite ne pouvait commander, mais il restait le chef de l’expédition à 69 ans et espérait encore faire d’autres campagnes.

 

 

Charcot

Né en 1807, d’abord médecin, chef de clinique à la Salpêtrière, il avait accompli sa première mission d’exploration aux Féroé en 1901. En 1903, c’est l’Antarctique qu’il visite avec son trois-mâts Le Français : puis en 1908-1910 avec le Pourquoi pas ?, trois-mâts barque avec machine à vapeur auxiliaire. Après la Grande Guerre, presque chaque année, ce sont des missions d’études au Groenland, aux Féroé, en Islande (dont il se disait citoyen de cœur) à Jan Mayen. Pendant le conflit mondial, il avait reçu une commission de capitaine de corvette et avait commandé le Pourquoi pas ? jusqu’à la limite d’âge : par la suite, il embarquait comme chef de mission mais restait moralement « le vieux ».

 

 

La chaudière réparée, on avait appareillé le 15 septembre 1936 du port islandais, non sans attendre le bulletin météo : le baromètre baissait. A cette époque, le réseau d’observation n’était pas aussi dense que de nos jours et rien de mauvais ne fut annoncé.

Dernier départ du Pourquoi-pas ?

Départ du Pourquoi pas ? le 15 sepmtembre 1936

 

C’est ainsi qu’à treize heures on décollait du quai, puis longeait la côte jusqu’au cap Shagi (Gordaski de nos jours) avec la machine, le vent étant faible.

Doublé ce cap, le ciel est menaçant et la mer calme, mais reflétant la grisaille des nuages. On la dirait de plomb.

Gonidec prend son quart à 18h00 (il faisait 16 à 18 puis minuit à 4h).

– « A toi le soin ! » lui dit le chef de quart descendant.

– « Mais je n’aime pas du tout cette mer-là. »

On n’est venu au sud, après avoir paré la bouée de Shagi, de façon à passer entre la terre de Reykjanes que l’on appelle de « trou de Reykjanes ».

Peu de temps après, le vent force du sud brusquement, en rafales : la mer se forme, le navire tangue, la mâture souffre, il est évident qu’on ne pourra pas tenir. Charcot et Le Conniat sont anxieux : que faire ?

Partir en fuite dans le nord-ouest (NW) avec la voilure de fuite, foc et petit hunier fixe par exemple, c’est obliger à contourner l’Islande par le nord. D’autre part, l’expérience a montré que le Pourquoi pas ? embarquait beaucoup à cette allure et que l’on n’était pas sûr de pouvoir doubler au NW de l’Islande.

Se mettre en cape bâbord armures avec trinquette, la grande voile d’étain, un foc d’artimon et la brigantine, puis la machine pour ne pas trop dériver, c’était aussi s’exposer à courir très au large et faire route vers le centre de la dépression qui avait l’air d’être dans l’ouest.

Il restait la possibilité de retourner en arrière tant qu’il était encore temps, doubler Shagi et remonter vers les anses de Njardvík ou Vogavík pour y mouiller à l’abri. Si le vent virait sud-ouest (SW) et même à l’ouest, on y serait dans une zone de calme relatif. D’autre part, ces mouillages étaient peu distants 8 à 9 miles tout au plus. En deux heures, on serait en sûreté.

Vers 18 heures, on vire de bord avec la machine, voiles ferlées et Gonidec descend manger après avoir laissé le quart à Cabon.

Le navire gouverne mal, il embarque sans arrêt. La nuit est rendue encore plus obscure à causes des grains et des rafales qui soulèvent l’eau des vagues et noient le navire d’embruns. Les veilleurs ont sans arrêt leurs jumelles embuées. Ils les essuient d’abord avec leur mouchoir, mais bientôt avec ce qu’ils ont de sec à l’intérieur du ciré, le tricot rayé, une serviette éponge qu’ils avaient passée autour du cou.

Après le repas, Gonidec va se coucher. Les bordées de repos sont allongées dans leur couchette, ou dans le hamac, mais personne ne dort.

Dans sa cabine, Gonidec est confiant, le navire est bon, le commandant est un vieux routier des mers, et Charcot est un chef admirable et admiré.

A minuit, il remonte au quart, la situation météo est la même : mais le navire gouverne maintenant au 115° vrai (le rapport dit aux environs de l’ESE), la barre à droite, machine en avant toute : la brigantine établie, ce qui donne au Pourquoi pas ? une allure de cape tribord amures.

Le commandant Le Conniat, après avoir pris du tour pour doubler Shagi à l’estime, a pris cette décision, espérant peut-être faire du 80 sur le fond et ainsi rallier Grotta puis Reykjavík.

La puissance du vent et l’état de la mer empêchent de rejoindre les abris de Njarvík ou de Vogavík comme espéré précédemment.

Le point estimé est donné par Cabon, le chef de quart descendant.

– « A 0h00 on doit être à 13 miles dans l’ouest de Grotta, et à 6 miles dans le NE de Shagi.

Carte

– Le cap vrai est au 115°,

– La route de fond devrait être du 80 151.

– La vitesse ?... la machine tourne au maximum ».

Vers 2h00, on croise deux chalutiers à la cape. Il faut manœuvrer pour les éviter : mais c’est une lueur d’espoir ; on n’est pas seul dans cette tempête.

Soudain, vers 2h45 - 3h00 un veilleur annonce :

– « Un feu par un quart sur l’avant de travers bâbord »,

– « C’est Grotta » s’exclame-t-on aussitôt.

Mais Le Conniat et Gonidec comptent les éclats :

– un, UN : un, DEUX : Un, TROIS ; un. QUATRE : un. CINQ ».

Non ce n’est pas Grotta, alors ?... Et tout le monde de recompter. Il faut se rendre à l’évidence, c’est Akranes. On recompte, entre deux grains : c’est certain, c’est bien le phare d’Akranes.

C’est donc que le navire a terriblement dérivé. On n’aurait jamais dû le voir dans cet azimut. S’il est par le travers bâbord, c’est que nous courons vers la terre. Il faut virer de bord, venir dans l’ouest.

Pour essayer d’avoir une meilleure position, le commandant fait sonder : 35 mètres. On n’est donc dans une zone au SW du feu. C’est certain, il faut virer de bord, car on court vers les hauts fonds et l’on ne doit en être loin, entre 2 et 3 miles.

Une première tentative est faite pour venir debout au vent, mais le navire refuser de loffer même en bordant la brigantine à plat en donnant le maximum, la barre à droite.

Le commandant se résout à abattre sur bâbord et vire ainsi de bord, lof pour lof. Le navire vient bien, on est soulagé. Mais il est alors pris dans un piège, ce dont personne ne peut s’apercevoir à bord.

Le Pourquoi pas ? est maintenant à la cape bâbord amures, cap environ au 250 : on pense qu’il dérive vers le NW.

La mer est de plus en plus énorme : le vent force jusqu’à 12 et probablement au-delà. C’est un véritable ouragan. Les balancines de la corne d’artimon se brisent, et la brigantine battant d’un bord sur l’autre est vite mise en loque. La corne s’abat sur le pont, on la saisit contre le mât. Vers 4h30, le mât de flèche d’artimon, qui n’est plus tenu, dégringole à son tour, entraînant l’antenne radio ;

Gonidec, qui est descendu à 4h00, ne peut dormir. Il remonte sur le pont. Tout le monde est là. Le commandant l’aperçoit, et lui demande d’aller prendre la carte numéro 5475 partie NW de l’Islande, pout la lui amener dans le cagnard.

Le jour commence à se faire et, dans le peu de visibilité, on aperçoit soudain des écueils, à gauche, devant. Il y en a partout. Le Conniat essaie de manœuvrer entre eux, mais à ce moment un choc ébranle le navire. Il est 5h15 environ.

 

Hnokki

 

Le Pourquoi pas ? vibre, résonne - un bruit qui n’en finit plus.

Tout le monde est secoué, perplexe. Le bâtiment talonne à plusieurs reprises : il semble immobilisé avant de sauter à nouveau.

Une vague énorme balaie le pont : on s’accroche à tout ce qui a l’air de tenir. Le maître Le Guen est emporté.

– « Sauvez Le Guen, sauver Le Guen ! »

Mais impossible, on jette des bouées couronnes : rien à faire. Le Guen a disparu.

Charcot est près du cagnard de la passerelle, il murmure assez fort pour être entendu de Gonidec :

– « Mes pauvres enfants ».

Promptement, le commandant fait établir le petit foc et le petit hunier fixe : le navire vient vent arrière et court maintenant vers la terre. Le Conniat réalise alors qu’il ne pourra pas sortir du banc avec cette voilure et se résout à faire mouiller les deux ancres. Les chaînes filent jusqu’à l’étalingure : avant qu’elles aient fait tête et que le navire se soit redressé face au vent, ce dernier se fracasse contre un rocher, saute une ou deux fois par-dessus, et retombe en eau profonde.

Alors que jusqu’à présent la coque n’avait pas eu de voie d’eau, malgré les terribles chocs des talonnages, l’air s’échappe par les manches à air en sifflant : le navire est envahi et commence à couler.

– « Il faut évacuer ! » dit Charcot.

– « Oui, il faut évacuer » répète en écho Le Conniat.

L’aube pointe, les manœuvres sont plus faciles dans cette clarté glauque. On essaie de mettre les chaloupes, les doris à l’eau : Charcot descend sur le pont, ouvre la cage dans laquelle se trouvait Rita, la mouette apprivoisée du bord. Celle-ci hésite puis s’envole et disparaît.

On donne un gilet de sauvetage à Charcot. Le Conniat cherche le sien, le docteur Parat va le prendre dans sa cabine, mais ne le trouve pas.

– « Ce n’est pas la peine » dit Le Conniat.

Au moment de mettre la chaloupe à la mer, Gonidec est bousculé par une déferlante qui noie le pont, il se heurte au pavois, suffoque, et se retrouve sur un doris qui flotte à demi submergé. Il est environ 6h00 environ.

Il y avait là deux autres marins, Pochic et Jaouen, mais à peine sont-ils accrochés à cet esquif que celui-ci se désintègre et Gonidec a la chance de saisir un chantier d’embarcation qui passe à portée ; Jaouen est accroché lui aussi à la même pièce de bois ; ils voient encore une fois la passerelle du Pourquoi pas ? où se trouve le commandant. Charcot, Fleury le second et le docteur Parat.

Soudain, à la crête d’une lame, ils aperçoivent la côte et une maison.

 

Plage

 

– « Jaouen, si on atteint cette maison on est sauvé ».

Mais l’eau ne fait que 4° : Gonidec ne sent plus ses doigts, ni ses pieds. Il abandonne le chantier pour essayer de nager et rencontre Péron qui s’agrippe à une bouée couronne. Ils nagent de conserve, quand soudain Péron pousse un cri bizarre « Hou ! Hou », son visage est violet : il lève les bras et disparaît dans l’eau.

Gonidec continu à nager. Il aperçoit sur le rivage un jeune homme qui a l’air de l’attendre : il sent qu’il va couler quand passe près de lui le planchon de la coupée. Il s’y agrippe et se hisse dessus. Le planchon passe miraculeusement entre les rochers. Le paysan se précipite, il est dans l’eau jusqu’à la ceinture. Gonidec sent une violente douleur, perd connaissance, revient à lui dans l’eau.

La cuisine de la ferme

 

 

 

Il se rappellera qu’on l’a tiré sur la grève, qu’on l’a aidé à marcher. Il se rappellera la cuisine, la femme et quand il se réveillera à nouveau, il sera dans un lit bien chaud, ses vêtements sèchent devant le poêle.

Par la fenêtre, il aperçoit la mer calme et quelque chose planté au milieu de l’eau : ce sont les mâts du Pourquoi pas ?, il réalise qu’il est le seul survivant et se met à pleurer.

 

 

 

La cuisine de la ferme de Straumfjörður

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Ce matin-là Krisján Þhorolfsson s’est levé une heure plus tôt que d’habitude, et avec son père Guðjón est monté sur la falaise de Hollubjarg.

De là, ils aperçoivent le Pourquoi pas ? en train de s’abîmer parmi les rochers. Guðjón retourne à la ferme en courant pour téléphoner à tous les voisons et à Akranes pour qu’on leur envoie un canot de sauvetage.

Pendant ce temps, Krisján cherche à identifier des naufragés parmi les épaves éparses sur les flots. Il aperçoit soudain un planchon qui flotte, auquel est accroché un homme. Il s’agit de Gonidec. Il va se fracasser contre les rochers, mais par miracle, passe entre eux, et s’approche de la plage. Tout en courant vers la plage, Krisján hurle à la femme, qui arrive de venir l’aider. Il se précipite dans l’eau qui lui monte par moment jusqu’aux aisselles et peut saisir ainsi le marin. Les vaguent bousculent les deux corps, le paysan ne lâche pas. Ilse redresse et tire le marin vers la plage. Une autre lame les roule et ils vont être entraînés vers le large quand la femme, sur place, les aide à sortir de l’eau.

Krisján ne sait que faire : il voudrait porter le naufragé à la ferme, mais il ne veut pas abandonner la plage au cas où d’autres marins auraient besoin de son aide.

Il crie à la femme d’aller chercher son père.

Le marin allongé sur le sable reprend conscience, mais Krisján ne comprend pas Ce qu’il dit. Il essaie de lui faire comprendre qu’il veut le porter sur le dos, le naufragé refuse. Avec la femme, ils le prennent sous les bras. Krisján regarde la plage, car à tout moment il espère voir arriver d’autres survivants. C’est à regret qu’ils s’avancent vers la ferme. Au sommet de la dune, le marin fait comprendre qu’il peut marcher seul, et justement arrive Guðjón. Son fils repart en courant vers le rivage.

Dans la cuisine, Þhordís Jansedóttir, la femme de Guðjón, attend le cortège : elle a allumé le fourneau et l’active. Dès que le naufragé est dans la pièce, on l’aide à se déshabiller, mais par réflexe de pudeur, il refuse de quitter ses sous-vêtements, ce qui étonne grandement les Islandais. La femme le force à le faire et lui en donne des secs. Le paysan trouve du cognac, en tend un verre au marin avec un grand bol de café brûlant. Ces attentions ont raison de Gonidec qui embrasse ses bienfaiteurs.

 

Þhordís Jansedóttir et Guðjón Sigurðsson

Þhordís Jansedóttir et Guðjón Sigurðsson

Krisján et Guðjón retournent à la plage, aident les paysans arrivés entretemps, déjà trois autres naufragés ont été repérés. On les agrippe, les tire vers la grève. Mais hélas ! Ils sont déjà froids, glacés. On cherche à les ranimer : rien à faire,  la vie a quitté à jamais leur corps ; leur visage marquait un calme irréel.

Le troisième cadavre est reconnu immédiatement par les Islandais : le docteur Charcot.

« La mer s’était retirée, vague après vague, comme pour dire : je vous le rend », écrira le consul de France à Reykjavík dans son rapport.

Ce même consul est alerté à 9h15 ainsi que le médecin de Borganes, localité proche du lieu du drame ? Quand le consul lui téléphone à son tour, il lui répond qu’il y a un survivant à la ferme de Straumfjörður. Le consul appelle la ferme, et la fermière confirme cette déclaration : elle a bien chez elle un marin français prostré et même endormi.

Le fermier rappelle immédiatement le consulat, confirme les dires de sa femme et ajoute qu’il y a sur la grève dix noyés. Le consul le prie de le rappeler dès que le marin sera réveillé.

Vers midi, le téléphone sonne au consulat.

– « Oui, Monsieur le consul, je suis du Pourquoi pas ?, Eugène Gonidec, maître-timonier ».

– « Oui, Monsieur, le bateau est perdu ».

– « Allez sur la grève, si vous le pouvez, et dites-moi ce que vous voyez ».

 

Un instant après le téléphone sonne à nouveau, c’est le naufragé :

– « Il y a les mâts qui dépassent, c’est tout ce que je vois, il y a des épaves, beaucoup d’épaves... mais personne dans la mâture ».

Le consul partira de Reykjavík en taxi et arrivera à la nuit à Borganes où il partagera une chambre avec un ami. Au petit matin, il repartira à chevaux jusqu’à la point d’Alftanes, puis empruntera un canot à l’aviron pour passer à la ferme de Straumfjörður.

Là, vingt-deux cadavres, que l’on avait ramenés de la plage vers la ferme, ont été alignés.

Du sommet de la colline de Hnokki, le consul avait vu les mâts du Pourquoi pas ? qui émergeaient de l’eau. La plage étaient jonchées d’épaves de débris. Il comprit ce que voulait dire l’expression « Bris de navire ».

 

plage bureau débris

 

Il y avait là des planches, des matelas, même le bureau de Charcot dont le contenu des tiroirs était intact, des boites d’échantillons, des jouets (car les marins rapportaient ceux-ci à leurs enfants et ils y avaient ceux destinés aux petits Esquimaux), des avirons, des bouées couronnes, la moitié de la barre. Un pompon rouge dépassait du sable et tenait encore au béret tout ensablé.

Quand le consul arriva à la ferme, trois personnes en sortirent : celle du milieu plus petite, hirsute, drôlement accoutrés, était le seul rescapé. Gonidec saisit les mains du consul. Il bégaya, cacha sa tête et pleura à chaudes larmes.

– « Il faut reconnaitre les corps ! » dit le consul.

Mais Gonidec n’avait pas l’air de comprendre. Ce ne fut qu’à la question répétée qu’il répondit :

– « Je suis à votre disposition ».

L’émotion était intense. A la vue de ses camarades, le naufragé reste cloué sur place. Il fondit en larmes une nouvelle fois. Le consul était lui aussi ému, il connaissait ces hommes qu’il avait reçus à Reykjavík trois jours plus tôt au milieu des amis et de la joie du retour.

Gonidec passa lentement devant ses amis, les noms avaient du mal à sortir de sa gorge : Nicolas François, maître-mécanicien ; Mahé ; Malesieux. Puis un autre, un autre, et encore un autre et tout à fait à l’extrémité de la ligne : « le docteur » dira le rescapé.

On traverse l’eau à Alfanes, on reprit les chevaux et on trouve un poney pour Gonidec. Le soir, on couche à Borganes, puis on regagne Reykjavík le lendemain.

L’émotion que soulève la nouvelle du naufrage fut ressentie dans chaque famille comme un deuil personnel.

La Marine, la France, le monde étaient bouleversés.

Le docteur Charcot, ses hommes et son Pourquoi pas ? faisaient l’admiration d’un génération, et c’étaient ces héros qui venaient de disparaître tragiquement.

Il y eu des obsèques nationales, des cérémonies grandioses. Il y eu aussi des rapports et tous conclurent que le drame ne pouvait être évité, que chacun avait fait son devoir et que, devant la mer cruelle et la nature déchaînée, l’homme est bien peu de chose.