Chroniques maritimes

Sommaire

 


The New York Times - 26 Mars 1884

Un steamer à la dérive

Histoire du premier voyage du Château-Margaux. Le témoignage des officiers du navire en difficulté (secours en mer refusés par les autres navires à vapeur)

Halifax, Nouvelle-Écosse, 25 Mars 1884.

Les agents du voiler à vapeur en détresse Château-Margaux, arrivés hier dans la ville de Caledonia, ont raconté une incroyable histoire sur leur pénible et dangereuse traversée. Le Château-Margaux avait quitté Bordeaux le 26 février, avec ses 10 passagers de première classe et 80 passagers de dernière classe. Lancé l’année précédente, c’était son premier voyage à travers l’Atlantique pour lequel on prévoyait une traversée rapide. Le temps jusqu’au 3 Mars était calme, et aucun événements ne s’était produit à bord, mais à partir du milieu de la semaine dernière le temps a viré à la tempête, et a rendu la majeure partie du voyage loin d’être agréable et extrêmement périlleux.

Du 3 au 5 Mars un fort coup de vent nord-nord-ouest domine, et dès le début de la soirée du 5, jusqu’au lendemain matin, une violente tempête fait rage, faisant tanguer le navire au gré du déchaînement de la mer. À 18 heures la vitesse est réduite à la vitesse minimum, rythme qui sera conservé toute la nuit. Au fur et à mesure que l’heure avançait, la violence du vent s’intensifiait, et à 2 heures du matin, le gouvernail ne répondait plus. Après inspection, on découvre que des malfaçons ont causé une cassure rendant le gouvernail inutilisable, et qui peu après a été arraché et emporté par les flots. Sur ordre du capitaine, l’équipage commence à gréer un gouvernail de fortune. Rapidement fabriqué il est mis en place, mais les vagues arrachent ses attaches et l’emportent. Successivement, on en fabrique quatre autres pour essayer de diriger le navire, en coupant les espars, le mât de misaine et les principaux mâts mais presque aussitôt mis ils ont été brisés en morceaux et emporté. Un cinquième a été plus résistant à la tempête que les autres, mais a été de peu d’utilité. Les violents intempéries continuent avec presque pas d’accalmie, rendant la progression du navire extrêmement lente. Le 8 mars, à 44 ° 45’ N, la goélette Carrie Harvey, à destination de Plymouth, croise sa route. Son commandant consent à lui porter secours, et à 7 heures le navire est remorqué. Cependant, le vent fort et la mer agitée, empêche le navire de porter assistance et après plusieurs heures de tentatives les navires doivent se séparer. Entre temps, le steamer Arizona, de Liverpool à destination de New-York, est repéré et interpellé, le capitaine de Château-Margaux demande à être remorqué. L’aide demandée est refusée, néanmoins les agents de l’Arizona prennent en charge d’un certain nombre de lettres et de télégrammes, puis continu son chemin.

Le lendemain, plusieurs énormes icebergs sont en vue, mais dérivent à distance de sécurité. Le 10, à 4 heures du matin, la goélette de pêche Gloucester Cimbria est aperçu, et une nouvelle tentative est faite par les agents du navire à vapeur, mais la tempête est trop dure. A 8 heures le matin même, le vapeur Norseman, de Portland à destination de Liverpool, transportant des bovins, est interpellé et l’aide du capitaine est sollicitée pour aider le navire en détresse, mais la demande, compte tenu de la cargaison à bord, est refusée. Une quantité de provisions fraîches du Norseman est transférée sur le Château-Margaux, le stock de celui-ci, au départ de Bordeaux, n'est suffisant que pour 20 jours. Le 11 Mars, survient le plus fort coup de vent de la traversée, le vent souffle avec force terrible ouest-nord-ouest. D’immenses vagues chahutent continuellement le navire, emportent tout le mobilier par dessus bord, et endommage une petite partie des bastingages. La tempête dure deux jours. La barque Yarmouth Ruby est croisée le 13 Mars, mais l’état de la météo empêche toute assistance. Le 14 mars la tempête faiblit, et le lendemain matin une autre tentative d’installation de gouvernail est faite : réussie le soir, le gouvernail de fortune résiste jusqu’au matin où il s’effondre.

À 8 heures, le 6 Mars, le bateau City of Chester est en vue, le capitaine accepte d’aider le Château-Margaux, mais après trois tentatives infructueuses, en raison des câbles de remorquage en acier qui cèdent à chaque fois, le City of Chester continue sa route en laissant l’une des ses aussières au Château-Margaux en acier avec ses passagers livrés à leur sort. Le 19 Mars, le vapeur Oregon, de Portland, à destination Liverpool, est interpellé, mais il refuse de remorquer le bateau en difficulté. En revanche, il envoie des provisions supplémentaires et prend à son bord 3 passagers de première classe et 45 de troisième classe qui préfèrent faire demi-tour plutôt que de rester sur un navire en dérive. Dans la soirée, un autre gros coup de vent de nord-ouest s’abat, et au cours de la nuit, le steamer roule et tangue très violemment sur des vagues gigantesques, menaçant régulièrement de submerger le navire avec tous les occupants à bord. Dans la matinée le gouvernail dernièrement installé est hors service, sans avoir été de quelque utilité, car trop petit. La pression atmosphérique du 20 et 21 mars descend très bas, et le vent, tournant dans tous les sens, souffle avec une force effrayante, mais le voilier à vapeur, pendant ces deux jours entiers, entièrement à la merci du vents et des flots, altéré de manière sûre. A ce moment la tempête est tellement fort que les chaudières sont secouées dans leurs plate-formes, risquant même d’être arrachées.

Le samedi de la semaine passée, à 41° 40’ N, 61° 41’, à environ 250 miles de Halifax, un navire est repéré, il s’agit du vapeur Calédonia, en provenance des ports de la Méditerranée, à destination New-York, avec une cargaison classique. Le capitaine, après avoir hésité, a décidé d’aider le Château-Margaux, et à 9h30 il est tracté, l’embarcation endommagée en tête et le Calédonia assurant sa direction. Et heure et demi plus tard, les liens de remorquage cèdent mais d’autres sont installés, et à 4 heures les deux navires se dirigent vers le port. Ils arrivent le dimanche soir au large de Sambro, mais n’ayant pas encore de pilote et la nuit étant très sombre ils attendent jusqu’au matin, quant les remorqueurs arrivèrent, le Calédonia enleva l’aussière de remorquage, pour rentrer seul dans le port, laissant le steamer français au soin d’une petite embarcation.

Le Château-Margaux est arrivé en toute sécurité au port hier soir, et sera à quai, afin qu’une inspection de son état, puisse être réalisée. 7 passagers de première classe et 35 passagers de troisième classe étaient à bord lors de leur arrivée à New-York. Les passagers de première classe ont rejoint leur destination par chemin de fer, tandis que les autres passagers ont continué leur voyage sur le Calédonia.

Au bureau de la Bordeaux Line à New-York, aucune information supplémentaire concernant le Château-Margaux n’a été reçus depuis hier. Le capitaine Ollivier a envoyé une dépêche annonçant l’arrivée du voilier à vapeur à Halifax, ajoutant qu’il enverrai par courrier un rapport complet sur l’incident. Un essai d’installation d’un gouvernail temporaire sera fait, afin de permettre au navire de rejoindre dans le port de New-York pour des réparations ; en cas d’échec les travaux seront réalisés à Halifax. Le transfert en train des passagers pour New-York, en passant par Boston, a commencé hier matin, et devrait arriver d’ici peu de temps cet après-midi. Sur les 81 passagers de troisième classes, 37 passagers ont navigué sur le Calédonia hier soir pour rejoindre New-York, c’est le nombre que pouvait accueillir le navire de la Anchor Line. Aucune dispositions n’a été prise hier pour le transfert des 44 autres passagers, mais ils seront pris en charge dès que possible. Le capitaine Ollivier rapporte que tous les passagers vont biens et que le Château-Margaux s’est comporté magnifiquement compte-tenu des avaries qu’il a subi.


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La Petite Gironde - 3 mai 1889

L'abordage du Château-Margaux

Nous empruntons à l’intéressant rapport du capitaine Sensine le récit complet des circonstances et des suites de l’abordage dont le Château-Margaux a été victime dans la nuit du 27 au 28 avril :

« Le temps menaçant de s’embrumer, je pris le parti de me diriger sur la rade de Dungeness pour y chercher un pilote d’Anvers. Dans ce but, je pris la route de Thomson, ayant ainsi des chances d’apercevoir le feu de Beachy-Head, si le temps devenait plus clair.

-  A 1 heure 30 du matin, nous voyons les feux de trois bateaux pêcheurs que nous laissons par tribord. Le temps se bouche de nouveau, la pluie tombe ; la brise souffle du sud-est. La vue s’étend à environ 2 milles. Nous réduisons notre vitesse à 41 ou 42 tours, et nous répétons nos signaux phoniques.

- La vitesse est ainsi maintenue jusqu’à 2 heures 50, heure à laquelle l’homme de bossoir signale un feu blanc à environ un quart par tribord.

-  Nos feux de position sont clairs. Indépendamment de l’homme de veille sur le gaillard d’avant, la surveillance est faite sur la passerelle par le premier lieutenant, le deuxième maître de manœuvre et moi.

- Quelques instants après que le feu blanc nous fut signalé, nous apercevons un feu vert.

- Je fus obligé de venir sur bâbord pour bien parer ce vapeur, qui nous passa à tribord à petite distance sans doute car, malgré la pluie, nous avons pu très bien distinguer sa coque.

- De 2 heures 50 à 3 heures, la vitesse fut encore ralentie à 36 tours. Le navire pour lequel nous venions de nous déranger de notre route était alors paré. A trois heures, il était par notre travers. La pluie tombait toujours. Nous faisions marcher le sifflet.

- A peine étions-nous parés du vapeur en question qu’un autre feu blanc nous est signalé par tribord, et aussitôt nous apercevons un feu rouge qui grossissait rapidement.

- Revenir en grand sur tribord alors que nous étions déjà bien arrivé sur notre route, parvenir à opposer notre feu rouge à celui que nous avions en vue, me parut être en ce moment, non seulement une manœuvre imprudente mais téméraire qui devait fatalement entraîner un désastre pour les deux bateaux.

- Je continuai donc ma route jusqu’à trois heures cinq, appuyant sur bâbord et en indiquant ma manœuvre par les signaux phoniques réglementaires. Par deux fois, je fis entendre deux coups brefs de sifflet à intervalle suffisamment prolongé pour qu’il n’y ait pas de fausses interprétations. Les signaux indiquant ma manœuvre n’amèneront aucun changement dans la route que faisait ce vapeur, qui s’était tellement rapproché de nous en quelques instants, que l’abordage devenait inévitable quoi qu’on pût faire.

- Je donnai aussitôt l’ordre de stopper qui fut exécuté, et avant que j’aie eu le temps de faire machine en arrière l’abordage a eu lieu. Il était environ 3 heures 7 ou 8 minutes. Le Château-Margaux fut abordé à tribord par le travers du mât de misaine.

- Il y eu deux chocs, dont le premier très violent. Quant au second, je l’attribue à ce fait que l’ancre de l’abordeur est tombée à notre bord aussitôt la collision, et que la chaîne ayant résisté tout d’abord, l’avant de l’abordeur aura dû être ramené sur nous. Cette ancre était prise par une patte sur notre bastingage, restant ainsi pendue le long du bord.

- Après avoir glissé sur la lisse, elle était venue s’étaler sur le banc de theorie de l’avant du rouf juste au-dessous de la passerelle dont le côté tribord était brisé. C’est alors que la chaîne commença à filer rapidement. L’abordeur nous élongea et vint sur notre arrière. Puis il revint à l’avant à une distance suffisante.

- C’est alors qu’il put enfin réussir à démailler sa chaîne. L’ancre nous restait donc à bord avec six maillons, dont il fallut bien se débarrasser.

- Entre temps, le petit jour se faisait. Pendant la dernière heure écoulée, c’est-à-dire tant que les deux navires ont été liés par la chaîne, que l’abordeur se trouvait à l’arrière de nous, le Château-Margaux n’a pu manœuvrer afin de ne pas compromettre le propulseur et le gouvernail.

- Les premières sondes faites aussitôt après l’abordage, furent satisfaisantes pour toutes les cales, sauf la cale n°1. Dans celle-ci, l’eau avait légèrement augmenté. Toutefois rien n’indiquait un péril immédiat.

- Dès qu’il fut possible d’y voir un peu clair, nous avons amené une embarcation à la mer, et je suis allé moi-même le long du bord constater le dommage.

- Il pouvait être environ 5 heures du matin.

- De son coté, le navire abordeur m’envoyait un de ses canots, sous le commandement du deuxième capitaine, pour me demander le nom de notre vapeur, celui de notre port d’attache, et savoir aussi quelle était la situation actuelle. Les renseignements furent fournis.

- Au sujet de notre situation, je lui répondis que le navire faisait de l’eau, que nous avions trois déchirures au-dessus de la flottaison, dont une verticale et les deux autres horizontales, plus quelques rivets qui avaient cédé.

- Par cet officier, j’appris que c’était le Manora, de la British India Company, venant de Londres, qui nous avait abordé, que lui-même avait des avaries sérieuses à son avant, qu’il y avait 19 pieds d’eau dans le compartiment d’avant, mais que, par ailleurs, il ne faisait point d’eau.

- Un instant, j’avais pensé à faire mettre une partie de mon équipage à bord du Manora, si toutefois il devait y être en plus de sécurité ; mais, d’après les renseignements fournis, j’abandonnai cette idée. D’ailleurs de nouvelles sondes faites dans la cale n°1, la seule qui fut endommagée, n’avaient point donné des résultats inquiétants.

- L’embarcation du Manora nous quitta vers 5 heures et demie. Nos embarcations furent disposées pour être amenées à la mer Les pompes à bras et à vapeur furent armées et mises rapidement en activité par le personnel de la machine et le personnel civil.

- Par ailleurs, nous nous occupions d’aveugler les déchirures des tôles et de boucher tous les trous dont les rivets étaient partis.

- Ce travail terminé le long du bord, on prit les dispositions à l’intérieur, dans la cale, l’eau n’augmentant pas assez rapidement pour ne point tenter de faire route vers les côtes de France. -

 Un steamer de Glasgow, dont le nom n’a pu être relevé, avait stoppé près de nous. Je lui ai proposé de nous escorter, mais il n’a pu accepter.

- Le 28 avril, vers 5 heures trente du matin, notre position, estimée à ce moment, devant être à 31 milles dans le nord et 20 degrés ouest du cap d’Ailly, nous avons commencé à faire route à une vitesse modérée, la machine faisant 32 tours par minute.

- Le temps était encore couvert et l’horizon un peu chargé. Les vents avaient tendance à prendre l’est sud-est, et de cette direction nous ressentions un léger clapotis. Cette dernière circonstance était du nombre de celles qui m’avaient le plus engagé à me diriger vers le sud.

- Vers 9 heures, les pompes fonctionnant bien et l’eau ne gagnant pas trop rapidement, l’ordre fut donné au chef mécanicien d’augmenter la vitesse jusqu’à 36 ou 37 tours.

- Vers 10 heures du matin la cale n°2 n’accusait point encore d’eau, et le coqueron d’avant était toujours étanche. La cloison de séparation des cales 1 et 2 étant appelée à supporter à un moment donné une forte pression, fut solidement dépontillée dans toutes ses parties au moyen de forts madriers fixés dans la cale n°2.

- En même temps, on s’occupait à boucher la déchirure supérieure des tôles qui correspondait dans la première cabine de passager et dans le water-closet, juste au niveau du premier pont. Enfin, on condamnait le panneau de la cale n°1, où l’eau commençait à augmenter, vers 11 heures, d’une manière assez rapide.

- A 11 heures 15, l’horizon se dégage, nous apercevons la terre devant nous.

- A midi, d’après divers calculs faits dans la matinée, nous obtenons pour notre position observée 10 degrés 10’30 nord, et 1 degré 28’ouest. Ce qui nous met à environ 19 milles de Dieppe.

- A midi quinze, la pompe, mue par le treuil à vapeur, est désemparée. Jusqu’alors, elle nous avait été d’un grand secours.

- Privés de ce moyen d’action, l’eau augmente et envahit l’entrepont. Le navire a apiqué sensiblement ; c’est au point que je suis obligé de faire monter tout le monde et de tout faire disposer  pour l’abandon. On stoppe, puis on évacue la chambre des machines et des chauffeurs, après avoir pris les dispositions utiles en pareil cas, tant pour les machines que pour les chaudières.

- La cloison de la cale n°2, fortement consolidée, résiste encore, ainsi que celle du coqueron avant. L’eau nous gagne toujours, il est vrai, mais nous tentons encore de nous rapprocher de la côte, et nous remettons la machine en marche en avant à petite vitesse.

- Malheureusement, le navire ne gouverne plus qu’avec difficulté.

- On entend bientôt un bruit sourd suivi d’une certaine trépidation : c’est la cloison du coqueron qui cède. Le coqueron est envahi et, par ailleurs, la cloison de la cale °2 fatigue et l’eau pénètre dans cette cale par les virures du haut.

- A ce moment, il est environ 1 heure ¼ , et il vente petite brise du sud. Le temps s’est éclairci. Nous distinguons très bien la côte dont nous nous sommes rapprochés encore de cinq à six milles depuis midi.

- Plusieurs petits bateaux sont en vue, et l’on aperçoit au loin, dans l’est nord-est, la fumée d’un vapeur.

- Les couleurs sont hissées à blocs ainsi que le pavillon de la Compagnie. Le signal "je demande du secours" fut mis au mât de misaine, un peu amené pour être plus apparent.

- Un des bateaux en vue sur lequel j’avais  mis le cap, nous hissa bientôt le pavillon français. C’était un pilote du Havre qui se dirigeait vers nous.

- L’eau nous gagnait de plus en plus. Le faux-pont de la cale était presque plein. On voyait bien que le navire continuait à apiquer. - Le moment était donc venu de songer à l’abandon. La machine fut de nouveau stoppée. Les précautions furent prises immédiatement pour prévenir tout accident, soit dans les chaudières, soit ans les machines. L’appel général fut fit.

- Quand tout le monde fut présent sur le pont supérieur, et que je vis que le bateau-pilote n’était plus qu’à petite distance, je fis amener les embarcations avec leur armement complet. Puis on procéda à l’embarquement des divers personnels. Tout se passa avec beaucoup d’ordre et sans bruit.

- Vers 1 heure 30, les embarcations poussèrent, et peu après, le bateau-pilote accostait. C’était le n°35. Le pilote Guerrier monta à bord. Il fut convenu avec lui qu’il prendrait l’équipage sur son bateau et nos embarcations à la remorque. Dans les canots chargés de vivres et de bagages, il ne restait que le personnel strictement nécessaire.

- Le pilote est resté à bord du Château-Margaux avec moi. Le second capitaine m’attendait le long du bord, dans la dernière chaloupe, surveillant le navire qui continuait à apiquer.

- Vers 2 heures 20, le steamer hollandais Othello, stoppe près de nous et offre ses services que j’accepte. Le deuxième capitaine, M. Biron, remonte à bord avec ses hommes pour donner la remorque, en même temps qu’une de nos embarcations est rappelée pour aider à la porter à l’Othello.

- La pression nous manquant, deux chauffeurs mirent de nouveau deux chaudières en action.

- Malgré les efforts du capitaine Heck, la tentative de remorquage resta sans résultat.

- Vers 3 heures, le vapeur Lyon vint se joindre à l’Othello pour essayer de nouveau de nous remorquer. Ce fut en vain ; les remorques cassèrent. Il était d’ailleurs impossible de faire gouverner le navire.

- A six heures, le Lyon continua sa route, ne pouvant plus nous être d’aucune utilité. Je prie son capitaine de donner avis de notre rencontre à notre Compagnie à son arrivée en Angleterre.

- L’Othello attend jusqu’à 8 heures ½.

- J’avais quitté le navire à 8 heures, alors que l’eau commençait à pénétrer dans les aménagements de la 1ère classe. Je me suis embarqué sur le bateau-pilote, qui vient ensuite se placer à une distance convenable du Château-Margaux.

-  A 8 heures ½, l’Othello voyant que le moment de la disparition approchait continua sa route vers Le Havre.

- Vers 9 heures, je retourne à bord pour me rendre compte de la situation. Le navire gîtait sur tribord et l’eau entrait par les hublots d’avant. Les écubiers étaient à fleur d’eau ; le spardeck d’avant s’emplissait : la cale n°2 était à moitié pleine. Il y avait un pied d’eau dans le salon.

- Les quelques matelots qui m’avaient suivi furent rappelés. J’ai quitté pour la dernière fois le Château-Margaux à 9 heures 15.

- Je rembarquai sur le bateau-pilote, puis nous avons attendu.

- A 1 heure 30 du matin, le 29, le Château-Margaux sombrait.

- Nous avons passé la nuit dans le bateau-pilote où nous avons trouvé bonne hospitalité. Le lendemain l’Abeille 8, ayant à bord M. Le Huby, nous a rejoint et nous a pris à la remorque.

- Le Tourville avait été également commandé par la Compagnie pour venir à notre recherche, et il rentra au Havre porter de nos nouvelles.

- MM. Les officiers et l’équipage m’ont, dans cette fâcheuse circonstance, donné tout leur concours et tout leur dévouement. Chacun a fait son devoir. Je me réserve de revenir à ce sujet.

- Nous sommes arrivés vers 4 heures au Havre.

- En foi de quoi, j’ai dressé le présent rapport de mer, protestant de tout ce que je dois protester pour ma décharge, contre le navire abordeur, pour la réparation des dommages résultant de la perte du navire, ainsi que de son chargement. A. SENSINE »


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